NAYA M. LUCIENTES
“I love you not only for what you are, but for what I am when I am with you. I love you not only for what you have made of yourself, but for what you are making of me. I love you for the part of me that you bring out.” –Roy Croft
Lui est né en Californie. Elle est née à San Juan au Porto Rico. Ils se sont rencontrés dans une de ces soirées mondaines de Los Angeles, dans un casino très réputé. Lui aime le jeu. Elle déteste cela. Cependant, ce soir là elle décidera de faire une exception pour lui et de jouer. En retour, ce matin là il décidera de faire une exception et de ne pas partir. Ils ne savent même pas pourquoi. Est-ce que ce n’est qu’un des mystères de la nature, cette alchimie inattendue qui peut naître entre deux individus que rien ne rapproche ? Où est-ce que ce n’est que l’attirance des opposés, le vide dont on identifie brusquement l’origine lorsqu’un être le comble ? Quoi qu’il en soit, cet amour n’eut aucune limite, et même avec l’âge ils gardèrent ce même dévouement l’un à l’autre qui leur permettait de tout traverser sans peine ni découragement.
Lui est propriétaire d’une agence de tourisme implantée dans de nombreux pays. Depuis très jeune, il aspirait à récupérer cette entreprise familiale, c’est pourquoi son père a pris une retraite anticipée et la lui a remise. Elle vient d’une famille moyenne du Porto Rico, a fait de très courtes études mais rêve depuis toujours d’offrir à sa famille de meilleures conditions de vie. C’est pourquoi elle a quitté ses origines, c’est pourquoi elle est parvenue au prix de maints efforts à obtenir une place de mannequin. On lui a tellement répété que sa beauté serait sa plus grande force qu’elle s’est surprise à y croire. Tout deux ont maintenant un statut social tout nouveau, pourtant ils sont mal à l’aise dans cette ville trop grande qu’est Los Angeles et ce pays fou qu’est l’Amérique.
Quand la naissance de Naya devint imminente, ils comprirent qu’ils ne voulaient pas voir grandir leur enfant ici. Lui possédait plusieurs propriétés un peu partout dans le monde, et rapidement ils choisirent celle qui se situait dans la banlieue de Zagreb en Croatie. Cette propriété accueillit par la suite la famille maternelle, puis une partie de celle paternelle.
“Success is not the key to happiness. Happiness is the key to success. If you love what you are doing, you will be successful.” –Albert Schweitzer
Du haut de tes sept ans, tu poses un regard sérieux sur ta petite famille réunie. Si petite est le mot approprié. Tes parents ont toujours adoré ce genre d’occasions. L’avantage, c’est qu’ainsi tu es moins seule. Que ne donnerais-tu pas pour avoir un petit frère ou une petite sœur ? Seulement voilà, ta mère ne pourra pas avoir quelqu’un d’autre que toi. Jamais. Tu l’as vu dans ses yeux, que ça faisait mal, mais tu ne devines qu’à peine la véritable signification de ce chagrin. À vrai dire, tu es dans un âge où tu réalises doucement tes propres aspirations, alors celles des autres te restent vagues.
Il y a quelque chose que tu aimes plus que tout, toutefois. Danser. Depuis qu’à cinq ans tu as vu ta mère danser un tango avec ton père, tu n’as plus que ça en tête. Tu connais déjà une dizaine de danses, apprises tantôt auprès de tes parents tantôt à l’école de danse, où tu te rends plusieurs fois par semaine. Tu aimes sentir la musique vibrer dans ton corps fragile, tu aimes sentir tes muscles se tendre et se tendre sous l’effort, et plus que tout tu aimes sentir le monde danser autour de toi et te renvoyer l’écho de tes figures.
Tu le sais, plus tard tu danseras. Tu ne veux faire que ça. Quand tu le dis à tes parents, ils posent un regard fier sur toi et répondent que tu seras la plus grande danseuse au monde. C’est touchant, mais tu préfères juste danser. Seulement pour ne pas les décevoir, tu acquiesces. Tu n’es pas vraiment consciente qu’ils ne veulent rien d’autre que ton bonheur.
Tu as 15 ans. Tu es aussi belle que ta mère à ton âge, et ton père n’arrête pas de le répéter en riant. Tu n’as pas tant changé, tu n’es juste plus exactement la même enfant qu’auparavant. Tes parents seraient incapables de dire d’où vient cette évolution, mais ils ont parfois du mal à te reconnaître, surtout en présence de personnes étrangères à la famille. Tu t’emportes si facilement, et tes mots sont si durs. Ils se sentent coupables de ton comportement. T’ont-ils trop chérie, trop apporté ? Ils n’ont jamais voulu faire de toi cette enfant capricieuse et imbue. L’année prochaine, tu t’en vas à Los Angeles, en internat dans une prestigieuse école de danse. Ils espèrent secrètement que ce brutal changement et les nouvelles expériences qui t’attendent te remettront à ta place.
“Love is the irresistible desire to be irresistibly desired.” –Robert Frost
Puis il y eut Los Angeles. D’abord la peur, la solitude et le dépaysement. Puis le plaisir de la danse, comme une vague qui t’emporte. Tu partages ta chambre d’étudiante avec une fille de deux ans ton ainée. Sans même que tu t’en rendes compte, elle devient ton modèle. Belle, brillante et ambitieuse. Tu sais ne posséder que les deux premières qualités et pour cela tu l’envie. Tu t’es faite ton propre groupe d’amies malgré ton caractère sulfureux, mais il y a toujours cette fille qui te revient sans arrêt dans la tête. Au self, ton regard se tourne automatiquement vers elle. Dès que tu l’aperçois en dehors de votre logement, tu es envahie d’une gêne immense à l’idée qu’on voit la brûlure de tes joues. D’un naturel fonceur, tu décides de lui confier tout cela. Tu te rappelleras sans doute toujours la manière dont ses yeux s’assombrirent brusquement et la vitesse à laquelle tu te retrouvas coincée entre son corps étouffant de luxure et le mur beige de votre chambre. Tu n’avais pourtant jamais eut l’impression qu’elle ne posait ne serait-ce qu’un regard sur toi, mais il semblait qu’elle n’avait attendu qu’un signal.
Des nuits comme celle-ci, il y en eut beaucoup d’autres, pourtant tu réalisas vite qu’elle n’avait rien d’autre qu’un désir physique pour toi. Alors que tu passais tes journées avec son visage d’ange à l’esprit, que tu ratais tes examens tant tu étais incapable de te concentrer, elle ne t’offrait jamais le moindre coup d’oeil en dehors de votre chambre. Elle revenait parfois même avec un garçon, et il lui semblait dans ces moments que coucher avec elle n’était qu’un fantasme qui t’était passé une fois par la tête et qui depuis ne te quittait plus. Seulement ses mains étaient toujours là pour te rappeler la dure réalité et sa bouche dans ta nuque avait sur toi l’effet d’une drogue, bien que tu sois incapable d’en reconnaître les symptômes.
Ce qui devait arriver arriva. Elle eut son diplôme et partit. La plaie béante en toi ne se referma jamais tout à fait. Si on avait pu retirer de ton visage l’ironie et le mépris dont tu t’étais fait un masque solide, on aurait lu toute ta détresse et ton incompréhension, on aurait compris pourquoi ton regard, même quand il s’attardait, n’était que provocation et haine. Cette fille, qui était-elle pour te faire ça ? En quoi avait-elle le droit de te prendre avant de te jeter, comme on se sert d’un objet sexuel ? Tu te sentis un temps coupable d’être une fille. Coupable, peut-être, de n’avoir pas su lui apporter ce qui l’aurait peut-être fait rester près de toi. Coupable, encore, d’avoir été sans doute une source d’angoisse pour elle, une source de questionnement sur sa sexualité. Parfois, tu avais surpris dans son regard une lueur de reproche, même si elle s’était empressée de reprendre son expression indifférente. Tu étais jeune mais pas stupide, tu avais très bien su reconnaître le conflit intérieur d’une jeune femme incapable d’admettre son homosexualité.
La tienne ne t’avait, à vrai dire, jamais posé de véritable problème. Tu ne l’avais jamais clairement affiché, ne sachant pas la réaction de tes parents, mais Zagreb n’était pas une ville où être une fille qui aime les filles était si difficile que ça. Bien sûr, tu avais et as encore quelques problèmes d’acceptation. Parmi eux, la fâcheuse habitude de continuer à fréquenter des garçons, pour conserver ta réputation. C’est tellement facile de se dire bisexuelle. Intimement, tu sais très bien que tu ne ressentiras jamais avec un homme ce que tu as ressentis avec elle...
“This is a story about control. Control of what I say, control of what I do. And this time, I’m gonna do it my way.” –Michael Jackson
Après son départ, tu t’es entièrement plongée dans la danse jusqu’à devenir première de ta promotion. Tu n’avais jamais réellement visé la première place, le diplôme te suffisait, mais le professeur avait été impressionné par ta vivacité, par tes mouvements harmonieux et pourtant emplis d’une colère surprenante, inexplicable. Touchante. Tu l’avais tant entendu dans la bouche de tes parents, ce mot. « C’est touchant. » Pourtant, ils ne voyaient pas l’envers du décor, ils ne voyaient pas que tu ne cherchais qu’à blesser ce qui t’entourait, à ne plus jamais laisser quelqu’un toucher ce qu’il y avait de plus fragile en toi. C’est si facile de se protéger par l’attaque, mais ça n’est jamais une solution définitive.
Très rapidement, on t’engagea comme danseuse professionnelle d’abord pour des groupes peu connus, puis à un niveau un peu meilleur. Fait étonnant, ces tournées ne satisfaisaient jamais entièrement ton besoin de danser, et il t’arrivait de t’entrainer des heures en dehors des spectacles. Les autres danseuses osaient rarement en rire, la plupart impressionnées par ton habilité et le fossé entre ce que tu savais faire et ce que tu faisais. Seulement, c’était un domaine difficile où l’ambition et la combativité étaient des qualités vitales. Tu ne manquais pas de cette dernière, bien sûr, mais une fois encore tu n’arrivais pas à viser aussi haut que tu l’aurais dû. Tu te lassas rapidement de cette course vaine.
Celle-ci s’acheva d’une manière que tu aurais voulu être plus douce. Tu venais tout juste d’avoir 20 ans quand ta mère appela. Ton père venait d’avoir un accident vasculaire cardiaque et était dans un état critique. Tu revins précipitamment auprès des tiens et pendant sa convalescence ce fut toi qui géras les affaires de l’entreprise de familiale. Quand ton père fut remis, il t’avoua être fatigué de tout contrôler et te proposa de commencer à travailler avec lui. Ayant peu d’aptitude dans ce domaine, il commença ta formation aussitôt. Tu posas à cela la condition de quitter la maison familiale pour s’installer de ton coté. Arrêter la danse fut la décision la plus dure que tu aies jamais prise, mais tu avais le sentiment qu’il s’agissait de la bonne. Qui plus est, tu pensais sentir la ville qui t’appelait. Cette ville où tu avais grandis. Cette ville qui semblait t’aimer autant que tu l’aimais. Oui, chez toi c’était ici.