Il avait vu le jour à Zagreb, il y avait toujours vécu bien que ses racines soient profondément ancrées à l'Argentine et à l'Italie. Ses parents, deux frontaliers qui avaient trouvé l'amour lors d'un voyage dans la capitale, avaient décidé de s'y installer, en hommage à cette rencontre, en hommage à leur amour. C'était ici qu'ils avaient fondé leur famille, ici qu'ils avaient donné naissance à leur premier et unique enfant, Danial. Evidemment, il était parfois certaines choses qui étaient faites pour durer, d'autre qui ne faisaient que s'inscrire dans les mœurs quelques années, le temps d'une routine et puis, qui s'effaçaient, avec le temps. Les parents de Danial, bien que très heureux durant les dix longues années de leur relation, avaient, d'un commun accord, même si bien souvent un parti était bien plus d'accord que l'autre, décidé de mettre un terme à leur vie de couple, leur vie de famille. Danial n'avait que six ans lorsque son père quitta sa mère, lorsque sa famille se scinda en deux. Il eut le plaisir de goûter aux repas de familles à double. Humant avec plaisir l'odeur des deux dindes qu'on lui servaient lors des thanksgiving qu'il passait d'abord chez sa mère, puis chez son père. Il y avait aussi plus de cadeaux, sous le sapin à noël, et plus de magie puisque le père noël passait toujours deux fois. Etrangement, la vie de famille que menait les Kjelland n'était pas pour déplaire au jeune enfant qui, très précoce, avait vite enregistré le fait que si deux personnes avaient pu s'aimer d'un amour si fort, elles pouvaient en venir parfois à se détester, tout aussi fort. Sa mère évitait soigneusement d'être à la maison lorsque son père venait le chercher, une semaine sur deux. Inscrit dans deux écoles publiques différentes, Danial avait vite compris que pour régner dans deux classes différentes et ne pas se laisser démonter par les autres, il devait s'inventer un personnage. Précoce, il avait toujours su se montrer plus malin que les autres, plus fort aussi. S'il fallait se battre pour survivre, il se battrait pour survivre.

Sa mère rencontra plus tard un jeune architecte, de dix ans son cadet. Si la relation qu'elle entretenait avec lui semblait faire parler beaucoup de monde autour d'eux, Danial ne pouvait s'empêcher d'admirer cet homme, de le regarder comme on regard un père. C'est à douze ans, déjà, qu'il comprit que sa vie ne se construirait pas selon un schéma bien précis. Lorsqu'il se surprit à dévisager son beau-père se changer, Danial réalisa brusquement que son orientation n'était pas celle qu'on qualifiait de "normal". Mais il s'en fichait, secrètement, il fantasmait sur son beau-père, et il en était heureux. A l'école, on le charriait, beaucoup pensait qu'il était la cause du divorce de ses parents. Danial savait les remettre à leur place. Les notes suivaient, il redoublait une classe mais il n'y portait pas grande attention. S'il y avait quelque chose à comprendre au comportement de ce jeune garçon, c'était qu'il n'écoutait que lui, que son instinct. Instinct de survie développé, soigneusement développé. Danial était indépendant avant l'âge, si sa mère batifolait, en secret, il rêvait de goûter au plaisir interdit. Un soir, alors qu'il n'avait que quatorze ans, Danial toucha son beau-père, allongé sur le sofa, endormi. Un premier contact qui hérissa son poil. De cette seule caresse naquit une première fois, un premier contact physique, une première habitude. Danial guettait les siestes de son beau-père qui, petit à petit, se rendit compte de ce que son beau-fils lui faisait et qui, petit à petit, y pris goût, allant jusqu'à mimer ses siestes pour profiter de la bouche experte de son beau-fils.

Relation presque incestueuse qui dura quelques semaines, jusqu'au jour où sa mère, lasse d'avoir à conquérir le même homme, décida de larguer son beau-père pour un autre. Le père de l'adolescent, de son côté, avait reconstruit sa vie, lui aussi, en compagnie d'une charmante jeune femme. Fraîchement divorcée, elle aussi, elle avait décidé de s'installer avec le père de Danial, en compagnie de son fils unique, fruit de son premier mariage échoué. Un demi-frère imposé, puisque quelques semaines après leur première rencontre, le père de Danial et sa compagne décidèrent de se marier. L'entente n'était pas au beau-fixe et petit à petit, l'aîné de la famille Kjelland se détachait de ses racines, oubliant jusqu'à l'existence de son paternel pour ne se concentrer que sur son avenir. Avenir déjà tracé dans la musique puisque Danial ne rêvait que de Broadway et de succès. A 18 ans, il terminait ses études secondaires, fréquentait la même classe que son abruti de demi-frère et devait supporter les moqueries incessantes. Un dossier banal grâce auquel il décrocha tout de même une place dans une bonne université, Danial poursuit son petit bout de chemin.

Aujourd'hui toujours en guerre constante contre son demi-frère pour l'admiration de son paternel, Danial travaille dans un magasin de disque comme disquaire le soir après ses cours. S'il enchaîne les relations d'un soir et furtives, à l'image de sa mère, il n'a toujours pas rencontré l'amour et pourtant.