Quand je regarde en arrière, j’ai toujours l’image de cette petite fille qui observait son grand père peindre, tapie dans un coin de l’atelier pour que celui-ci ne la voit pas. Avec les années, je ne saurais pas situer l’âge que j’avais à ce moment-là, mais je dirais très certainement que c’était une scène du quotidien durant toute ma petite enfance. Grand-père n’aimait pas que je l’observe. Selon lui, l’atelier d’un artiste est comme un jardin secret alors autrement dire qu’en faisant ça, je violais totalement son intimité. Est-ce que je m’en rendais compte à l’époque ? Non. C’était interdit, mais l’observer me fascinait. Observer ses toiles blanches devenir de magnifique tableau, c’était comme de la magie pour la petite moi. Alors malgré l’interdiction et la punition qui me pendait au nez, je restais dans l’atelier, je me cachais et n’en sortais que bien longtemps après lui. Bien sûr, ça n’est pas resté un secret pour lui pendant longtemps, que j’étais là derrière. Mais il n’a rien dit, peut-être qu’il avait juste deviné, que j’étais comme lui. Jusqu’à leur mort, ma mère et moi avons vécu avec mes grands-parents près de Lille. Je n’ai pas eu de père près de moi. Je ne l’ai jamais connu. Lui non plus. Et ma mère aussi sans doute. Entre eux, ça devait être sûrement qu’une seule nuit. Ce qui expliquerait que ma mère ne m’aime pas, ça n’est pas comme si j’avais été le fruit d’un homme qu’elle avait aimé. Non, je suis tout aussi inconnu que mon géniteur. Quelle famille ! Mais ça, on pourra y revenir plus tard. J’ai donc eu mes grands-parents près de moi durant toute mon enfance. Nous vivions près de Lille dans une grande maison, l’endroit rêvé pour une petite fille. Ce qui est à savoir, c’est que l’Arts sous toutes ses formes m’a toujours entouré. Grand-père – comme vous l’aurez deviné – peignait. Il était un de ces bobo qui avait connu énormément de succès dans les années 70 avec son Art. Grand père a exposé à Madrid, à Londres, à Berlin et à Moscou. Il a même rencontré Marc Chagall durant sa jeunesse. Ca ne voudra sûrement rien dire pour vous, mais je suis très fière de pouvoir dire que mon grand-père a connu Chagall, qu’il a été son ami et que c’est à une de ses expositions qu’il y a rencontré ma grand-mère. Ma grand-mère n’était pas une artiste à proprement parler. Elle ne savait pas dessiner, ni jouer d’un instrument aussi bien que ma mère ou moi-même, ni même sculpter ou tout simplement créer avec ses dix doigts. Grand-mère était écrivain et tout comme grand père elle avait une certaine renommée dans son milieu, surtout grâce à ses livres qui traitait bien souvent de la Shoah ou de l’Holocauste. Grand-mère a perdu l’intégralité de sa famille durant la Seconde guerre, d’ailleurs on pouvait voir sur son bras son matricule qu’on lui a tatoué avant son entrée dans les camps. Avec le recul, je pense que si grand-mère était aussi froide avec maman et avec moi, c’était parce qu’elle avait trop peur de perdre sa famille une seconde fois. Bien des années plus tard, j’ai lu ses livres et j’en suis venu à cette conclusion. Si j’ai manqué d’amour maternel, c’est parce que ma mère en avait manqué avant moi et cela parce que grand-mère avait sans doute peur de voir une nouvelle guerre où elle reperdrait tout. Maman a donc comblé le vide laissé par grand-mère grâce à la musique, elle pouvait passer des heures derrière un piano à composer, écrire ou même simplement jouer. Maman est devenue une artiste célèbre aussi. Vous comprenez maintenant pourquoi il me tient tellement à cœur de réussir ? Je ne peux pas me rater et détruire la renommée de la famille St-James. Je dois marcher dans leur traces, c’est comme ça que je le vois. Quoi qu’il en soit, c’est dans cet univers de personnes brillantes que j’ai grandi.
« Alabama ! Combien de fois faudra-t-il te le répéter ? Tu ne dois pas aller dans l’Atelier. Tu n’es pas bien dans le jardin ? » Mes grand parents n’étaient pas des pro de la surveillance. A vrai dire, j’allais et venais partout où je voulais dans la maison sans qu’ils le voient. Il faut avouer, la maison était immense et pleine. On trouvait plein de pièce totalement inutile, pleine d’objet ou de meuble dont encore aujourd’hui j’ignore l’utilisation mais pour la petite fille que j’étais, c’était comme la caverne d’Ali Baba et le mieux dans tout ça, c’était de jouer à cache-cache là-bas. Une fois, pour le gouter d’anniversaire de mes sept ans, nous avons fait une partie, je suis restée caché près de cinq heures, quand grand-père m’a trouvé, mes invités étaient partis, ça a gâché ma fête.
« Tu ne dois pas déranger ton grand-père. » Grand-mère réprimandait quand elle me trouvait, mais ça restait rare.
« Laisse là Naïs. Ça ne me dérange pas quand elle regarde. Et puis, peut être que plus tard, ça sera elle qui sera à ma place. » La pomme qui tombe jamais loin de l’arbre. Grand-père avait compris, ma fascination, je mourrais d’envie moi aussi de réaliser des tableaux, de faire ce tour de magie qu’est la peinture. Maman avait espéré en vain que me vienne comme elle un amour incommensurable pour la musique. Mais même si j’aimais l’entendre jouer et l’accompagner à l’Opéra ; mes cours de solfège m’ennuyait, mes tentatives de jouer correctement ne portaient aucun fruit et puis il n’y avait pas cette envie folle de jouer comme celle de peindre. C’est quelque chose qui ne s’explique pas.
« N’est-ce pas Alabama ? Tu penses faire comme grand père plus tard ? »
« Oh ! Elle a bien le temps de s’y mettre. Elle est encore petite. Tout ce qu’elle saurait faire avec de la peinture c’est en mettre partout. C’est qu’une enfant. » Ai-je précisé que grand-mère était un peu rabat-joie ? Un réel contraste avec le grand-père gâteux que j’avais, mais je la détestais pas pour autant. Grand-mère, elle était juste trop sérieuse, grand-père pas assez. Voilà tout.
« Je trouve qu’elle est assez grande, je vais lui apprendre. A partir de maintenant. » dit-il comme pour lui clouer le bec, bien sûr, j’allais avoir intérêt à être sérieuse mais c’était ma chance. J’ai longtemps traîné à l’observer dans l’Atelier mais ça, se fût fini à partir de ce jour. Je n’étais plus spectatrice de la scène, mais bien actrice et pour m’avoir tout appris, j’en gagne une admiration sans borne pour mon grand-père. C’est lui, le vrai héros de ma vie, le modèle. Chaque chose que je fais est prévue pour le rendre toujours plus fier de moi.
Après la mort de mes grands-parents, maman et moi sommes parties nous installer à Paris. Elle y passait déjà une bonne partie de son temps et puis je n’aurais pas pu rester seule dans notre grande maison de Lille alors le choix a vite été fait, même si bien évidemment je n’ai pas vraiment été consultée. Maman m’assurait une chambre et un atelier où je pourrais travailler sans être dérangée, ça me suffisait. Seulement, avec notre arrivée à Paris je quittais brusquement l’enfance pour l’adolescence, période qui achevé tous les sentiments maternels que ma mère pouvait éprouver pour moi. Ça a commencé quand elle partait en tournée avec son orchestre durant plusieurs jours. Au début, elle m’assurait une nourrice qui bien évidemment ne servait qu’à préparer le repas. Je ne suis jamais entendu avec elles, je passais brusquement d’une famille de brillant cerveau à la compagnie d’une stupide boniche. Disons que c’est comme que j’ai commencé à en vouloir à ma mère, parce qu’elle me laissait seule. Puis petit à petit, elle a fini par me laisser seule et ses tournées se sont prolongées. Une fois, ma mère est partie pendant près de deux mois, me laissant seule à la maison. Et c’est en étant seule que j’ai commencé à ressentir un vide. Grand-père, grand-mère n’étaient plus là. Maman non plus. Peut-être que si j’avais eu un père, lui il aurait été là. Et c’est à partir de cette pensée que tout a commencé à s’écrouler.
« Alabama ! Je suis rentrée ! » Je ne l’avais pas entendu. Il faut dire, elle ne m’avait pas prévenu non plus de son retour. L’appartement était sans dessus-dessous et la musique criait jusqu’au bout de la rue. Quand elle m’engueulait, je mourrais juste d’envie de lui dire que c’était ce qu’on récoltait en laissant une adolescente seule à la maison, mais si je le faisais c’était la gifle assurée. «
Nan mais ! qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Et cette musique ! Etains ça’ Range moi ça’ Nan mais qu’est-ce que tu as foutu pendant que je n’étais pas là ? » Les reproches ont toujours plu et lever les yeux au ciel n’arrangeait rien, maman n’avait rien de maternel, alors après une absence de plus d’une semaine jamais elle ne m’a pris dans ses bras ou a même pensé à me raconter son voyage. C’était je rentre, je crie, et je repars en répétition ou je dors.
« Maman ? » l’avais-je interpellé avant de ne plus la voir du week-end.
« Pourquoi quand tu ne reprendrais pas contact avec mon père ? Pour qu’il vienne s’assurer que tout ailles bien quand t’es pas là. » Jamais au grand jamais, je n’avais énoncé l’idée que je puisse avoir un père devant elle. Nous parlions déjà peu, alors de lui jamais. J’aurais dû savoir que la réponse de maman ne me plairait pas. Déjà quand elle s’est mise à rire à ma question. A ses yeux, j’étais vraiment qu’une gamine stupide.
« Pourquoi tu penses que tu as un père. Alabama, je lui ai pas envoyé de faire-part pour ta naissance. Il ne sait même pas que tu existes et j’ai pas l’intention de lui en faire part. Crois-moi. Tu ne veux pas rencontrer ton père. » Si j’aurais voulu.
« Je suis invitée ce soir. Range-moi ce bordel avant mon retour. » Avait-elle conclu en fermant la porte. Elle me laissait seule et blessée. Maman ne m’aimait pas. J’aurais tout fait pour qu’elle s’intéresse à moi pourtant.
J’ai donc commencé à attirer l’attention de maman en ruinant ma réussite scolaire. Quand elle n’était pas là, soit je n’allais plus en cours ou bien soit je n’y allais que dans le but d’être renvoyé. Au début, elle avait tendance à me dire que c’était mon avenir que je gâchais, que elle, elle avait un bon métier et que c’était donc pour moi que je travaillais. Puis est venu le jour où elle a dû rentrer de l’étranger en urgence à cause d’une bagarre qui avait mal tourné. J’avais quinze ans. Une fille a l’école m’avait provoqué, ou plutôt elle avait cherché le premier prétexte pour se battre avec moi. Les gens doivent comprendre un truc. Je suis Alabama St-James, j’ai peur de rien, de personne et celui ou qui me verra reculer n’est pas né(e) . Alors devant cette fille, je ne me suis pas laissé marcher sur les pieds. J’ai usé de ma grande gueule. Manque de bol, j’ai perdu. Cette salope m’a envoyé à l’hôpital avec plusieurs points de suture et un trauma crânien. Maman est rentrée plus énervée qu’inquiète. Je crois que ça lui a rien fait que quelqu’un s’en soit pris à moi. Elle a juste signé les papiers, et nous sommes rentrées à la maison. C’est ce soir-là que j’ai compris que dans ce bas monde, j’étais désespérément seule sans personne pour m’aimer. Pourtant j’aurais voulu que quelqu’un m’aime. Une personne, juste une. Et celle dont je réclamais l’attention n‘était décidemment pas disposée à m’en donner. « Nan mais viens à la soirée ce soir. Tu vas voir, ça va te changer les idées. » Au téléphone avec Lola, ma meilleure amie.
« Non mais je viens seulement de rentrer. Le médecin a dit que je devais prendre du repos. » « Mais qu’est-ce qu’on s’en fout de celui-là ! Ta mère est là ? » « Non, elle est sorti. Elle est partie voir le Fantôme de l’Opéra. » « Cool ! T’auras pas besoin de risquer ta vie en sortant par la fenêtre. Allez dépêche-toi ! On passe te prendre dans quinze minutes. » On ne disait jamais non à Lola. C’était une bonne amie, dommage qu’elle soit la bonne amie de tout le monde. Les quinze minutes écoulées, j’étais descendue dans la rue en pensant au fait que j’aurais voulu que maman me surprennent. Histoire d’avoir son intérêt, mais qu’est-ce que je pouvais être conne. Son intérêt, je ne l’aurais jamais.
« Tu t’es trompée d’endroit. Ici c’est pas la fête de l’hospice alors rentre chez toi ! » Lola avait tort, la fête était d’un ennui et avec les antidouleurs que m’avait refilé le médecin, je songeais plus à dormir qu’autre chose. Ce type qui m’avait abordé n’avait pas le mérite d’être sympa mais au moins il m’avait sorti de ma rêverie.
« Je pourrais savoir ce que ça peut t’foutre ce que j’fais sur cette chaise ? T’as qu’à aller voir là-bas si j’y suis. » A savoir que je somnolais avant son arrivée et donc que me sortir d’une quelconque forme de sommeil équivalait à me foutre de mauvaise humeur. Ca n’avait pas l’air de lui avoir déplu. J’observais son grand sourire tourné vers moi et le suivit des yeux lorsqu’il prit une chaise pour m’rejoindre.
« J’croyais que ça te dérangeait d’avoir une éclopée dans ton cirage. » Il haussa les épaules et demanda en pointant mes sutures du doigt.
« Comment tu t’es fait ça ? » « Je me suis battu avec une fille. » « T’as gagné ? » « A ton avis ? » « Tu as eu mal ? » « Non. C’était que physique. J’en avais rien à foutre. » « C’est quoi ton prénom ? » « Alabama. » « C’est moche. T’en as pas un autre ? » « Mon deuxième prénom c’est Naïs. » « C’est mieux. » Il s’appelait Diego. Il était italien et beaucoup plus âgé que moi, mais ça ce ne sont pas des questions que je pose en premier lieu aux inconnus. Il était là, il devait se faire chier tout comme moi, ça nous a fait un point commun alors pourquoi ne pas faire connaissance. Quand j’y repense, je ne sais pas ce qui a bien pu le conduire à venir m’aborder ce soir-là. Il aurait pu aborder n’importe qui d’autre que cette gamine songeuse dans un coin de la pièce, cette gamine au mauvais caractère qui avait choisi d’se mélanger à personne. Quoi qu’il en soit, ce soir-là a beaucoup changé la donne. Nous avons beaucoup parlé lui et moi. Pas spécialement de nous. Il n’était pas le genre d’homme à vouloir parler de lui comme il n’était pas le genre d’homme à vouloir m’entendre parler de moi. Cela est notamment dû au fait qu’on me prend bien souvent pour une gamine babillarde et stupide, je ne pouvais décidemment pas lui en vouloir. Ce que les gens ignorent de nos jours, c’est qu’il y’a plein de sujets de conversation autre que nos vies sans intérêt, ou bien nos rêves qui sont tous les mêmes, ou même nos fantasmes. Beaucoup de personnes ne comprennent pas que leur vie, c’est tout simplement de la merde et que dès qu’elles commencent à en parler, on a généralement envie de se pendre, qu’on s’en fout totalement parce qu’on vit tous la même chose. C’est mon cas, quand quelqu’un commence de suite à raconter sa vie j’ai envie de courir loin parce que ça m’intéresse peu au final. Sur ce point Diego et moi, on était pareil. Et ça a dû le surprendre plus qu’autre chose qu’une gamine babillarde et stupide comme moi puisse soutenir une conversation allant de La Divine Comédie de Dante Alighieri au Boléro de Ravel. Je ne le parais pas, mais j’ai toujours été très cultivée.
J’ai passé la soirée avec lui et comme j’avais fait le mur et que je ne voulais pas avoir cette discussion avec ma mère ce soir-là, j’ai aussi passé la nuit avec lui. La première fois que je découchais et que je couchais. Ça n’était pas désagréable, un peu douloureux, mais pas désagréable du tout, c’est sans doute ça qui compte non ? J’ai revu Diego après ça. Une fois. Deux fois. Puis régulièrement, comme un couple je suppose. Aujourd’hui, je ne saurais même pas dire si on en était un. L’étions-nous ? Ca ne m’en a plus l’air. Mais à l’époque, j’aimais comme on aime à quinze ans, c’est-à-dire bêtement, stupidement, connement, naïvement et je pensais vraiment que ça allait durer, que c’était réciproque et que même si ce n’était pas clair comme de l’eau de roche, il m’aimait aussi. Oui, j’étais totalement amoureuse de lui. C’était la première fois, je pense que quand c’est la première fois, on a le droit de paraître pitoyable. De toute façon, je ne pense pas qu’on m’y reprendra un jour. Pour reprendre, Diego et moi formions un couple pour la « moi d’il y’a quatre ans ». Qu’est-ce qui m’a amené à penser ça ? Je dirais que nous passions beaucoup de temps ensemble, sans dialogue, juste de la lecture et de la peinture. J’en avais jamais demandé plus à personne. J’étais aveugle, en réalité, il me gardait plus à disposition pour quand il avait envie de niquer que pour le plaisir de ma compagnie. Une chose dont on ne se rend pas compte quand on est idiote et amoureuse. Et puis lui, il aurait aussi pu me détromper quand je me suis déclarée. Mais non, il s’est contenté de me laisser dans mon état complètement aporétique.
« Tu peux répéter ? » Je l’avais dit après l’amour, instinctivement sans même avoir réfléchis. Il aurait dû se douter que je réfléchissais peu à l’époque, si il ne m’avait pas demandé de répéter, on aurait oublié, alors je me serais pas fait d’idée et on en serait resté là, dans cette relation qui menait déjà à rien dès le début.
« Je suis amoureuse. De toi. » avais-je complété. Je l’avais d’abord trouvé gêné à cette annonce, mais ensuite j’ai plus eu l’impression qu’il se sentait désolé pour moi. Comme si, c’était vraiment de mauvais augure ce que je lui annonçais.
« Je suppose qu’on arrivera à faire avec. Tu veux pas rentrer chez toi ? » Je soupirais. C’était pas une question, c’était un ordre. Rentre chez toi Naïs, je t’ai assez vu. Alors moi des fois, quand il s’agissait de la fermer, je loupais vraiment tout. Cette conversation m’avait laissé dans le désarroi sans que je sache quoi faire. J’avais été renvoyé chez moi, comme une bête. Et si c’était une rupture, ou quelque chose y ressemblant ? Merde. J’étais seule, je rentrais chez moi. J’allais sûrement y retrouver ma mère plus énervé qu’inquiète par le fait que cela faisait deux jours que j’étais chez Diego. Ouais, deux jours putain. C’était ça, ma grande gueule avait été goutte qui avait fait débordé le vase. C’était fini. Il se trouverait sûrement un autre trou à baiser. Moi, j’étais sur la touche. A la maison, j’aurais sans doute préféré tomber sur une maman énervée que sur la mère que j’ai vu.
« Ah tu rentres tôt aujourd’hui ? Je pensais que tu finissais les cours plus tard. Tu feras attention quand tu cuisineras ce soir. Bisous ma chérie. » Rapidement, je fis un pas en arrière pour éviter le baiser qu’elle s’apprêtait à me coller sur le front. Depuis quand ma mère m’embrassait ? Depuis quand m’appelait-elle « ma chérie » ? Jamais. Elle n’avait sûrement même pas remarqué mes deux jours d’absences. J’avais franchi un cap où attirer son attention ne m’intéressait plus. Je ne voulais plus de ma mère. Elle-même n’avait jamais voulu de moi, je suppose qu’il était juste temps que je partage ses sentiments. Elle ferma la porte derrière elle, partie et moi je la regardais par la fenêtre grimper dans la voiture d’un homme. C’était le « ma chérie ». Juste un moyen de déculpabiliser le fait qu’elle ne s’intéressait pas à moi. Plusieurs heures plus tard, le téléphone sonnait.
« Ouais Naïs. Tu peux passer chez moi ? » C’était Diego.
« Oui, j’arrive. » C’était pas fini.
Les mois ont fini par passer. Et plus ils s’écoulaient, plus ma mère devenait une complète inconnue. J’aurais pu être heureuse pour elle, qu’elle se soit trouvé un homme qui veuille l’emmener partout. J’aurais pu, mais la vérité c’est que je la détestais pour m’abandonner et que quand elle était avec ce type tout ce que je lui souhaitais, c’était que son avion s’écrase. De toute façon, c’était déjà comme si j’étais orpheline. Avec Diego, notre relation n’était pas non au beau fixe. J’étais toujours amoureuse de lui, à vrai dire si je me moquais d’avoir ma mère près de moi, c’était parce que je préférais l’avoir. Quitte même à être collante, j’arrivais pas à m’en détacher. J’avais besoin qu’il soit là, quitte à lui imposer ma présence. C’est à cause de lui que j’ai commencé à jalouser l’entourage des gens auquel je tenais jusqu’à ce que ça en devienne une maladie. J’étais stupide mais pas suffisamment pour ne pas voir que j’étais pas la seule à partager ses draps. Je disais rien, mais je le savais et ça faisait mal. J’étais curieuse. Et ma curiosité faisait que j’arrivais toujours chez lui avec assez d’avance pour voir qui allait en sortir, c’était complètement maso mais sûrement pas plus que de ne pas savoir. Je déteste ne pas savoir, qu’on me cache des trucs. Là, je savais. Diego ne savait pas que je savais, de ce point de vue j’avais comme une longueur d’avance non ?
« Naïs ! J’ai besoin de toi pour un service. » Ses services, je savais déjà de quoi il en retirait.
« J’ai besoin que tu apportes ce paquet sur Montmartre. Pour seize heures. Après on ira au ciné. » Quand je regarde arrière, je me demande encore comment j’ai pu être aussi conne. La réponse : J’étais amoureuse. Alors même si il me prenait pour la reine des connes. Sa chienne. La plus misérable des catins. La plus stupide des gamines. Je disais oui malgré tout. Ca me faisait mal de le savoir avec d’autres. Le fait qu’il m’utilisait, je ne le voyais pas. Et puis après, on sortirait. Il se comporterait alors comme le plus normal des petits amis, dans ces moments j’oubliais tout ce qu’il pouvait me faire, je l’aimais et il était à moi.
« D’accord. Je t’appelle quand c’est fait. Tu veux qu’on se retrouve quelque part ? » Il hocha la tête.
« Non, je te rejoins. J’ai une course à faire avant, je serais en retard sinon. » Il m’embrassa, je partis. En route pour Montmartre. C’était la dernière fois que je le verrais. Je ne le savais pas, j’étais parti à son rendez-vous avec le sourire, dans l’idée que j’allais le retrouver après, qu’on irait faire nos trucs et c’est tout, et que peut-être que si on passait une bonne soirée, il se dirait qu’il n’est qu’un con d’aller avec d’autre et que je lui suffis. Oui. Peut-être, mais ça s’est pas passer comme ça.
« Halte ! Mademoiselle. Vous avez vos papiers ? » La police, elle n’a pas le droit de fouiller sans preuves. C’était pas mon premier contrôle, alors j’étais relax. J’aurais pas dû. Leur chien s’approchait de moi, dangereusement, aussitôt qu’il eût aboyé, je savais que j’étais grillée.
« Vous allez nous accompagner au poste. » Je n’avais pas été la seule à être coincée. Le type avec qui j’avais eu rendez-vous, lui aussi. C’est lui qui avait balancé que quelqu’un lui apportait un paquet. Avec son témoignage, je tomberais pour deal de drogue. Tout me fût expliqué au poste et néanmoins, je restais silencieuse. Maman arriverait avec un avocat. Ils sortiraient de tout ça, il n’y’avait qu’à dire que c’était une erreur. Après tout, j’aurais pu ne pas être cette personne qu’on attendait. La détention de drogue reste moins grave. Finalement, c’était pas si facile.
« Alabama. On sait que c’est pas toi qui a monter l’échange. On a besoin que tu nous donnes un nom. Une adresse. Qui t’a envoyé ? » Je restais silencieuse. Plutôt mourir que de balancer Diego.
« Tu es jeune. Quinze ans. On peut encore t’éviter d’avoir un casier mais pour ça tu dois nous dire qui t’as donné ce paquet. » Toujours muette, ils ont été jusqu’à envoyer ma mère pour me convaincre à avouer. Ils n’auraient pas pu faire un choix plus mauvais. Je n’écoutais que Diego ; ma mère elle n’avait qu’à se barrer encore plutôt que faire genre qu’elle s’inquiétait pour moi. De toute façon, je n’avais pas seize ans, je ne risquais rien ou peu. De plus, l’indic attendait un homme, je ne correspondais pas au signalement. Sans preuve, sans témoignage, sans autre chose que ce paquet, j’étais irrecevable devant un jury. Je m’en tirais avec un centre pénitentiaire. Diego, on l’aurait renvoyé en Italie, ou même pire. Encore une connerie amoureuse, je l’ai protégé ce con. Je fus donc envoyé dans un centre pénitentiaire perdu dans le centre de la France, loin de la capitale. J’y restais pour le reste de l’année scolaire et quand je revins, l’appartement de Diego était vide. J’étais seule, à nouveau.
Je n’oublierais jamais ce que j’ai ressenti quand j’ai compris que je serais seule à nouveau. Diego n’était plus là et il était temps pour moi de grandir et d’arrêter de demander l’attention de personnes pour qui visiblement je n’étais rien. J’arrêtais d’être une enfant trop gâtée pour finalement faire les choses comme je l’entendais. Je suppose qu’il y’a toujours un moment où grandir devient un choix plus qu’une nécessité. C’était le moment.
« Quoi ? Non mais non. Je garde mon atelier. » Déjà sur le retour vers la maison, je ne faisais pas des films au sujet de grandes retrouvailles mère-fille. J’en avais jamais eu, j’en aurais jamais. Je n’avais même pas eu de lettres ou d’appels durant mon séjour au centre, c’était révélateur. Tout ce que maman m’avait dit en rentrant, c’est que je devais débarrasser mon atelier pour accueillir son nouveau copain et sa progéniture. La nouvelle ne m’avait pas ravie. Je voulais pas rendre le seul truc qu’elle m’avait donné.
« Ca sert à rien de discuter Alabama. Tu débarrasse ton atelier, on a besoin d’une chambre en plus. » Quand maman me donnait des ordres, elle commençait toujours par me tourner le dos, ce qui signifiait qu’elle ne voulait pas discuter. Ma mère a toujours évité ainsi les conflits avec moi, jamais auparavant nous échanger plus de trois paroles ensemble. Il n’y a juste jamais eu de discussion, à y réfléchir c’est sans doute ce qui a creusé ce fossé.
« Nan ! Si ils veulent aller quelque part, ça sera dans ta piaule. Pour ce que tu l’utilise. » « Pardon ? » « Tu m’as compris. C’est mon atelier et j’vais pas le donner à ton mec. » Maman me faisait face, elle avait l’air bien embêtée, j’avais jamais provoqué personne autrefois. C’était une première fois, première qui c’est bien connu est devenue une de mes plus grandes habitudes.
« Je n’aime pas ce ton Alabama. Il me semble qu’avec tes frasques tu n’es pas en droit d’exiger quoi que ce soit alors tu me vides cet atelier où c’est lui qui le fait. » J’haussais les épaules. Personne n’aurait mon atelier, j’y entreposais tout. Ma vie. Mes peintures depuis mes douze ans, depuis qu’on était à Paris. Celle de grand-père aussi. Mon atelier ou le musée de ma vie.
« Je refuse. Personne n’aura mon atelier. » avais-je répondu avant de tourner les talons, comme à son habitude maman était partie après cette conversation. Sûrement partie rejoindre son mec. C’est là que je pris la décision de m’enfermer dans ma pièce, je déménageais le matelas de ma chambre et fis ma valise, oui, je rassemblais mes affaires pour partir à l’autre bout du couloir, j’avais juste pas l’intention d’en sortir. Je m’enfermais dans ma pièce sans l’intention d’en sortir. Le monde à l’extérieur ne valait pas que je m’y intéresse. Depuis mon arrestation, je n’avais pas eu d’amis pour m’appeler. Personne de l’extérieur.
« ALABAMA ! Sors de cette pièce ! Les déménageurs sont là ! » « NAN ! Personne ne l’aura. » « Je vais faire enfoncer la porte ! » « Bah fais-le ! Mais je ne bougerais pas. » « Ce que tu peux être têtue ! » Une seconde fois dans la journée, ma mère abandonnait le combat. Je n’avais pas touché un pinceau depuis des mois, cette nuit-là, j’ai peint tout un mur d’une nuance abstraite, une œuvre aussi dérangeante que fascinante. Le lendemain, le remue-ménage eut lieu à l’autre bout du couloir. Il ne fallait pas être devin pour comprendre que ma chambre avait finalement été réquisitionnée. Je m’en fichais. Je ne faisais qu’y dormir, mais pour m’assurer qu’on ne me reprenne pas l’atelier, je n’en sortais pas. J’aurais du prévoir que j’aurais faim. J’ai pas bougé pourtant. Au bout de plusieurs jours, je ne donnais plus signe de vie. Oui, il a fallu cinq jours à ma mère pour faire enfoncer la porte. Il lui a fallu cinq jours pour réaliser que je devais être déshydratée et affamée.
Après mon hospitalisation, maman s’est mise à éviter de me contrarier ; peut être juste pour ne pas avoir ma mort sur la conscience. C’était différent la maison maintenant. Nous étions deux, nos parents n’étaient jamais là, toujours barrés. Des fois j’étais seules aussi, ils l’emmenaient avec eux et à l’heure retour, j’avais l’droit de voir les photos d’une famille unie. Je sais que maman et moi n’avions jamais eu de relation mère-fille, j’ai juste toujours pensé qu’elle était incapable d’être une maman. C’est possible, il y’a bien des femmes qui n’ont pas d’enfant. Alors quand c’était, j’arrivais à lui pardonner sa distance en me disant que c’était pas sa faute, si elle ne pouvait pas je ne pouvais pas exiger d’elle qu’elle m’aime. Il a fallu que son petit ami débarque à la maison pour que je réalise que c’était pas qu’elle ne pouvait pas m’aimer, mais plus qu’elle ne voulait pas. La vérité fait mal. Maman ne voulait pas de moi et c’est pour ça qu’elle était aussi distante, j’aurais pu vivre avec si elle n’avait pas donné l’affection qu’elle me devait à quelqu’un d’autre. C’était juste révoltant, et c’est pourquoi je me suis révoltée. Tandis que l’enfant prodige réalisait ses succès à l’école, moi, je faisais en sorte de ne valoir plus rien. Maman du m’inscrire dans les lycées publics quand les privé ont arrêté de vouloir de moi. C’était dommage, les programmes d’Arts dans les privés étaient plus travaillés, mais au point où j’étais, j’essayais juste de ridiculiser maman.
« T’étais où ? Tu te rends compte de l’heure qu’il est. » Ai-je oublié de préciser que la pièce rapportée commençait à prendre suffisamment la confiance pour m’engueuler à la place de ma génitrice. Ca arrivait fréquemment quand maman n’était pas là, malheureusement pour lui, il pouvait pas rattraper les années où je m’étais élevé toute seule.
« C’est bon ! Tu vas pas m’faire la morale non plus. J’suis rentrée là. » « Je te signale qu’en l’absence de ta mère, c’est moi qui doit te surveiller et si il t’arrive quelque chose, je suis mal. » Bien sûr, il allait me jouer le refrain de la responsabilité. A moi.
« Ecoute, je pourrais me faire violer et engrosser au coin d’une ruelle que maman en aurait rien à foutre alors bordel va t’coucher et m’raconte pas que c’est grave quand j’rentre au beau milieu de la nuit. S’tu veux faire une crise d’hypocrisie, tu l’as fait loin d’moi parce que sérieux j’ai pas envie d’écouter ton refrain. T’es pas mon père, t’es pas d’ma famille. Tu vis juste chez moi là, t’es un parasite. Toi et l’autre là, alors ferme ta gueule et va t’coucher. » Je réalise que c’est dommage, pour une fois que quelqu’un avait voulu s’occuper d’moi, parce que bon, s’il m’attendait c’est qu’il s’inquiétait quand même un peu nan ? Je sais pas. T’façon, ça n’a plus d’importance, les gens n’aiment pas la difficulté, ils manquent de persévérance, ce soir-là, je mettais fin à toutes ententes possible. Et clairement, j’en avais rien à battre.
A l’âge de seize ans, j’ai découvert un aspect de ma personne encore inconnu et qui pourtant est majeure. Je craquais complètement pour les filles. Depuis Diego, j'avais laissé personne pénétrer mon monde et mon intimité. C’est simple, je pouvais avoir confiance en personne mais j’avais rencontré Louise. Et putain, si il y'avait encore du beau dans ce monde, c’était forcément elle. Ca avait commencé en soirée - j’ai l’impression que ça commence toujours en soirée - puis ça c’est fini chez elle. Une femme, c’est différent d’un homme. Là, je comprenais le sens de faire l’amour plutôt que baiser. C’était encore factice à l’époque, mais la tendresse de Louise remplissait en quelque sorte le vide laissé au fond d’moi. Personne n’avait été aussi soigneux qu’elle avec moi. J’en redemandais toujours de sa tendresse, et de plus en plus quitte à passer des nuits entière chez elle. Louise, c’est le genre de femme à aimer avoir un corps chaud contre elle la nuit quand elle dort même si au petit matin, elle voulait que je sois partie. C’était pas un soucis au début, j’allais et venais. C’était absolument pas sérieux puisque j’y allais pour échapper à ma maison. Puis, Louise est devenue une addiction plus qu’une habitude. Je n’en faisais pas part, mais intérieurement je m’énervais rien qu’à l’idée que d’autre puisse être à ma place.
« Naïs ? Tu n’es pas au lycée ? » J’avais finalement choisi de rester un matin. Juste pour voir. Pour savoir comment ça se passerait, elle m’avait prévenu qu’elle ne voulait pas me voir au réveil. Mais déjà dès le début, j’obéissais très peu à Louise
. « Non, je voulais rester avec toi. Et puis, on est samedi. » « Ah oui ? Je suppose donc que tu n’es pas obligée de rentrer chez toi ? » Son sourire la matin, ses mains qui s’enserre autour de mon corps, sa chaleur, son parfum, j’avais droit à tout ça. J’étais comme en extase. A sa question, j’hochais la tête.
« Je ne veux pas rentrer chez moi. Plus jamais. » Un baiser sur mon front.
« Alors restes ici autant que tu veux. Je ne veux pas que tu sois malheureuse. » « Tu es sérieuse ? » « Oui. » Louise est la première personne à avoir voulu que je sois heureuse. Pour le peu de sérieux qu’avait notre relation, c’était surprenant. J’avais envie de pleurer d’joie à sa proposition. J’avais pour sûr une grande envie de rester chez elle.
« Je bougerais plus jamais si tu me laisses rester » « Et bien restes. » Je lui avais répondu avant de me glisser sous les couvertures pour la faire jouir. Et dire que ça serait comme ça tous les matins maintenant. Ca vendait du rêve. Une fois de retour à la maison, je m’affairais à faire ma valise. Maman était rentrée entre temps et m’avait trouvé en train de fermer le tout.
« Alabama ? Je peux savoir ce que tu fais ? » J’haussais les épaules et lui répondit comme si ça ne se voyait pas.
« Ma valise. Tu vas être contente, je débarrasse le plancher. » Contrairement à ce que je pensais, ça n’avait pas l’air de la ravir.
« Pardon ! Non non non, Alabama tu es trop jeune. Tu es sous ma responsabilité, je t’interdis de partir d’ici. » J’aurais pu être touché par le fait que maman veuille m’pêcher de partir. J’aurais vraiment si elle n’avait pas mentionné l’idée de responsabilité. C’est tout ce que j’étais pour elle, elle aurait pu m’dire de ne pas partir parce que la place d’une fille est avec sa mère, mais nan au lieu de ça, elle se contentait juste de me dire que la loi était ainsi faite et qu’elle serait mal vu si je n’étais plus sous son toit.
« T’en fais pas pour ça, je n’appellerais pas les services sociaux. Maintenant laisse-moi passer » Pour toute réponse, ma mère me balança une gifle qui résonna dans toute la pièce, elle me frappait pour la première fois et moi qui n’avait jamais vraiment eu mal quand on m’frappait, je l’ai senti physiquement et moralement. J’avais rien à dire sur le sujet, juste.
« Laisse-moi passer s’il te plait. Parce que si tu le fait pas, j’appelle les services sociaux et crois-moi, on me laissera pas avec toi. Tu es une étrangère maman, et tu m’fatigues. » Elle s’écartait. J’ai plus habité avec maman depuis ce moment, et je ne lui ai reparlé qu’une fois.
Chapitre quatre : Louise (Poison – Alice Cooper ) [/center]
La première nuit chez Louise fut la meilleure de ma vie. Pas seulement pour le côté crapuleux bien sûr, mais aussi parce que pour la première fois depuis longtemps j’avais le sentiment d’être chez moi. C’était chez Louise techniquement, mais c’était mon foyer. Je n’ai jamais voulu être autre part sinon avec elle. Les premières semaines, on laisse la routine s’installer. Tout était nouveau, du réveil le matin bien au chaud dans ses bras au repas qu’on préparait le soir à deux. Ouais, c’était parfait, nouveau, bien en somme. Pourtant, j’avais plus l’impression de vivre avec ma meilleure amie avec qui je couchais plutôt qu’avec une petite amie. Peut-être que j’avais cette impression parce que j’étais chez elle depuis peu et que malgré que j’y étais bien, j’avais du mal à trouver mes marques. Les semaines ont tout de même finies par passer et l’habitude s’est installée, avec l’habitude, l’amour aussi. Si au début de notre cohabitation je pouvais facilement passer la soirée chez nous sans automatiquement l’attendre, cela fut impossible après ces quelques semaines, je devenais de plus en plus possessive demandant sans arrêt à Louise où elle allait, avec qui, quand elle rentrerait, si elle ne préférait pas que je l’accompagne, ce qu’elle allait faire. Louise me mentait. Elle n’allait jamais aux endroits qu’elle disait – je vérifiais – ni même avec ceux qu’elle prétendait – je vérifiais toujours – je savais que ma présence n’était jamais demandé quand je la lui proposais et qu’elle acceptait – je le voyais – et surtout elle ne faisait jamais ce qu’elle disait faire. Je n’ai jamais aimé les secrets. Je n’ai jamais aimé qu’on me cache quoi que ce soit car je pense être capable d’entendre toutes les vérités sans pour autant avoir envie de me jeter du haut d’un pont. Juste je m’énerve, oui, forcément si on me cache un truc c’est que ça va pas me plaire alors pourquoi vouloir éviter cette réaction totalement prévisible ? Si on ajoute le mensonge – ou une omission, ce qui est pour moi la même chose – la réaction est pire, alors pourquoi s’entêter ? L’être humain est pour moi un mystère dans ce cas-là, je ne mens jamais par peur d’essuyer les foudres de quelqu’un. Je fais du mal, j’assume, sans pour autant le crier sur tous les toits. Louise me mentait, je ne le savais pas encore, il y’avait bien sûr un doute mais contrairement à Diego elle était beaucoup plus discrète lorsqu’il s’agissait des autres personnes qu’elle fréquentait. Si discrète qu’il fût plusieurs mois de relation pour qu’enfin je la prenne sur le coup. J’attendais depuis longtemps pour confirmer mes doutes, ceci fait ça ne fit pas moins mal, au contraire j’entrais en rage.
« C’est bon Naïs ! Tu vas te calmer ! » « Me calmer ? Tu m’demandes de me calmer alors que j’viens de te surprendre avec ce.. cette … pouffiasse. » « Ouais. Calme toi ! Parce que ce que je fais ne te regarde pas. T’es pas ma copine Naïs. » Son calme faisait peur. Quand elle pensait avoir raison, Louise était toujours calme et même quand elle avait tort, elle faisait semblant pour s’assurer une sorte de supériorité sur moi. Aussitôt qu’elle m’eût répondu, je riais jaune. Déjà pour cacher le pique qu’elle venait de me lancer et qui me faisait mal, mais aussi parce qu’il y’avait de quoi rire.
« Tu m’as demandé de vivre avec toi. Tu couches avec moi. Tu m’embrasses tous les matins pour me souhaiter une bonne journée. Si t’es pas ma copine, t’es quoi Louise ? Si tu veux pas l’être alors arrête de te comporter comme telle quand t’es avec moi et pose les choses directement. T’es quoi pour moi ? » Je voulais une réponse. J’en pleurais de ce moment, déjà de ce qu’elle m’avait dit mais aussi de ce qu’elle pourrait me répondre. Je pouvais rentrer chez ma mère, sauf que j’en avais tout sauf envie. Alors qu’est ce que j’allais faire quand elle m’aura répondu ?
« Tu es un genre d’colocataire. Je couche avec toi quand j’en ai envie et toi tu t’plains pas parce que je t’héberge. » J’avais pas compris que dans le contrat c’était stipulé que je devais fermé ma gueule quand Louise m’utiliserait. Décidément, j’étais bien trop conne. Trop blonde. Trop idéalisatrice. Les gens prenait ce qu’ils voulaient de moi et puis après, c’était « ferme ta gueule ma blonde »
« A l’avenir, sache que j’aurais quelque loyers de retard, parce que compte pas sur moi pour te payer en nature. » C’était ma faute, j’avais fait la sotte, encore. Et j’allais devoir apprendre de mes erreurs. Je n’ai plus adressé la parole à Louise pendant longtemps après ça, elle ne pouvait pas continuer à profiter de moi sans que je n’en dise rien. J’avais fait l’erreur avec Diego, on en connait le résultat. Le salon devint ma chambre pendant un moment vu que je squattais plus que le canapé, et encore quand je ne trouvais pas le moyen d’aller autre part. Stupide non ? Parce que j’étais toujours aussi amoureuse d’elle ; mais je voulais lui manger, lui faire du mal et la rendre aussi jalouse que j’avais pu l’être.
Malgré le silence qui s’était installé entre nous, Louise et moi n’avions pas fini de traîner ensemble et de fréquenter les mêmes personnes. En réalité, je pense qu’elle avait fini par m’inviter partout où elle allait pour me montrer qu’elle n’allait pas avec d’autres filles et que je pouvais arrêter de l’éviter. Je restais néanmoins la petite garce à qui elle avait fait du mal et qui comptait lui rendre au centuple. Un soir, j’eu la chance de croiser Célestine. Célestine n’était pas une amie proche de Louise mais elles faisaient parties du même cercle de personne. Cercle qui s’était agrandi de ma personne à force d’être avec Louise. Célestine, j’ai tout de suite vu que je lui avais tapé dans l’oeil. C’était à sa façon de me suivre des yeux quand j’étais loin ou au sourire qui s’affichait dès que je tournais les yeux vers elle. J’aimais bien lui plaire, surtout parce qu’elle me plaisait alors en mettant Louise de côté pour un soir, j’voyais pas pourquoi je n’aurais pas été faire connaissance avec celle qui me surveillait de loin.
« Mais t’es pas la copine de Louise ? Tu devrais aller avec elle. » Célestine était raisonnable, plus que moi.
« Nan, je suis sa bonne action de l’année. C’est tout. Et t’occupes pas d’elle, elle a sûrement plus intéressant à faire là. » Je tentais de la déculpabiliser. T’façon pourquoi culpabiliser ? J’étais célibataire, amoureuse d’une autre et désireuse de lui renvoyer sa claque mais pas seulement, j’avais simplement envie de Célestine et n’importe quel baratin aurait été suffisant pour me faire parvenir à mes fins. C’était vache ? Autant commencer de suite à assumer ce genre de coup, c’était ni le premier, ni le dernier. Inutile de raconter que je ne suis pas rentrée chez Louise ce soir-là, il est aussi inutile de raconter ce que je faisais à ce moment –là, par contre je peux préciser que Louise l’a appris et qu’à mon retour, elle m’attendait au tournant.
« Ah ? Parce que tu rentres maintenant ? Tu préférais pas rester chez elle ? Tu devais être bien là-bas pourquoi t’es pas resté ? » Comme elle l’avait fait avec moi, j’affichais le calme énervant de Louise qui montrait qui contrôlait la situation. C’était comme si on avait échangé les rôles.
« Pourquoi je partirais ? Je t’ai pas envoyé d’préavis il me semble. » Plutôt ironique. Oui, mais surtout parce qu’on a joué la même scène quelque mois plus tôt.
« Nan mais tu te fous de ma gueule ! Y’a deux mois t’étais là à m’faire la gueule à cause d’une meuf et là tu m’fais la même chose et tu t’en fout » J’haussais les épaules.
« Ben oui. Après tout, je suis qu’une colocataire. Tu fais ce que tu veux, je fais ce que je veux. Tu l’as dit nan ? » Je la regarde se décomposer.
« Putain ! T’es vraiment une connasse d’utiliser mes propres mots contre moi. T’en fais quoi du on est quoi l’une pour l’autre ? Ca fait des semaines que tu fais la gueule, fallait que tu t’en tape une autre pour me faire comprendre que j’ai mal agis, que j’ai pas été honnête. Ben bravo Naïs ! J’ai mal agis, et toi aussi. Et putain merci d’m’avoir montré que tu ne vaux pas mieux moi et quelle erreur j’ai faite en me prenant la tête pour toi. » Et merde. J’avais réussi ce que je voulais et pourtant j’étais pas satisfaite. Je voulais pas que Louise rompe tout commerce avec moi. Je voulais lui faire mal et après, on reprendrait comme avant.
« Tu peux rentrer chez ta mère si t’es pas heureuse ici. » avait-elle fini par dire avant que je ne reprenne.
« Nan Louise ! C’est pas ce que je veux. Pas du tout même. C’est juste que … » « C’est juste que quoi ? C’est juste que tu es une putain de gamine capricieuse. T’avais besoin d’te venger, tu l’as fait. BRAVO ! Je te certifie que t’as réussis. Maintenant tu fais quoi ? T’as ce que tu voulais, t’es vengée ? T’étais restée pour ça t’façon’ » J’allais pleurer, j’avais tout faux, Louise avait raison. Quelle conne putain !
« Nan je … Je m’excuse. Je veux pas partir. » avais-je répondu de ma petite voix
. « Alors pourquoi Naïs ? » « Parce que tu m’as fait mal Louise. Mais vraiment. J’ai l’impression d’être rien pour toi. Je t’ai pas parlé pendant des semaines. Je t’ai pas touché, ça te faisait rien. De nous deux, c’est pas moi qui a l’air d’en avoir rien à foutre de l’autre. » J’avais raison. Louise avait agis comme si de rien n’était, c’était la première fois qu’elle laissait transparaître ce qu’elle pouvait penser.
« Je suis désolée Naïs. T’as raison, j’aurais du te dire autre chose ce soir-là. J’aurais du t’expliquer que t’étais pas qu’une colocataire et qu’à chaque fois que je te trompais j’en culpabilisais. Putain mais je suis bien avec toi T’es la nana la plus intéressante que j’ai rencontré et je suis juste bien, mais ça me fait peur. Et là c’qui viens d’se passer, ça me montre que j’ai raison d’paniquer à cause de toi. Tu t’rends compte du mal que tu peux m’faire ? » C’était une déclaration. La discussion que j’attendais. J’étais touchée.
« Oui, et je m’en excuse. Louise, on a déjà été infidèle avec moi, on a déjà profité de moi et je veux pas que ça se reproduise à nouveau. Tu me rends dingue, vraiment, je suis dingue de toi. Mais j’hésiterais pas à te rendre les coups que tu me fais si c’est tout ce qui me permet d’attendre. Je veux m’excuser et repartir de zéro. » « Oui recommençons tout, t’es à moi maintenant. » me répondit-elle en m’attirant vers elle, putain j’étais heureuse.
« Alabama St-James ? » La voix était grave, inquiétant et généralement quand on vous appelle à vingt et une heure passé, c’est rarement pour de bonnes nouvelles.
« Ici le docteur Philistin de l’hôpital privé St-Just. Votre mère a fait un malaise dans la journée, rien de grave mais nous avons besoin qu’un proche vienne la chercher. » Pourquoi m’appelait-il moi je l’ignorais, mais il n’en restait pas moins que c’était ma mère et qu’elle n’était pas du genre à être malade. Je quittais ce soir là l’appartement de Louise pour aller la ramener chez nous. Je n’avais pas vu maman depuis presque un an, j’étais anxieuse, j’espérais lui avoir manqué.
« Oh Alabama, c’est toi qu’ils ont appelé. Y’avait personne à la maison ? » demanda-t-elle sans même affiché le moindre sourire à ma vue. Ca valait bien le coup de s’être fait des films durant le trajet. Maman n’avait pas changé en plusieurs mois, comme si m’avoir loin d’elle ne lui avait rien fait. Elle avait fini par se lever pour se rhabiller et à cet instant, je fus surprise. Une chose avait changé chez maman : une protubérance au milieu du nombril. J’allais avoir un frère, ou une sœur. Et vu la taille du ventre, ça risquais d’être dans un futur proche.
« Tu as essayé d’appeler ton beau-père ? » demanda-t-elle comme si de rien était.
« Maman ? Tu comptais m’appeler pour ça ? » Je pointais le ventre du doigt.
« Pour quoi chérie ? Oh’ Oui, j’attendais le bon moment. Ca se passe bien avec ta copine ? Tu as besoin de quelque chose ? » Bah’ merde. C’est dingue que les seules fois où elle demandait des nouvelles de moi.
« Oui j’vais bien. C’est pas ça ma question, je veux savoir pourquoi tu m’as pas dit que tu étais enceinte. T’attendais quoi ? De m’envoyer un faire-part de naissance ? Et encore, si t’avais l’occasion de me demander mon adresse pour le faire. J’en reviens pas que tu continu encore à éviter mes questions. » Connaissant maman, je savais qu’elle n’aurait pas voulu que l’on se dispute au beau milieu d’un hôpital. Savoir conserver les apparences c’était tout un honneur pour elle. Elle ne répondit donc pas et attendit que l’on rentre chez elle (chez nous ?) pour avoir cette conversation avec moi
. « Alabama. Je vais te dire la vérité, je n’avais aucunement l’intention de te parler du bébé. Tu as fait ton choix. Tu as quitté la maison, tu ne donnes pas de nouvelles. Et pour être franche, nous avons construit notre famille sans toi. Tu es bien avec ta copine tant mieux. J’ai l’impression d’avoir complètement merdé avec toi. Ce bébé, c’est ma deuxième chance, j’y arriverais pas si tu es là pour me rappeler mes erreurs. Je peux subvenir à tes besoins, mais ne vient plus, même si un médecin t’appelle parce qu’il y’a quelque chose. C’est mieux comme ça. » Qu’est-ce que je devais comprendre ? Ma mère coupait les ponts avec moi, à vrai dire, elle me demandait même de ne plus faire d’apparition dans sa vie. Avais-je été si minable que ça comme fille ? J’en ressortais de cette entrevue totalement dépité. Ma mère m’avait parlé, gentiment remercié, puis congédié. Je saurais pas décrire à quel point je me sentais minable en rentrant à la maison. Louise m’accueillit en prenant des nouvelles de ma mère. Ma mère, elle allait bien. Elle avait son nouveau mari et sa progéniture si parfaite, et un enfant qui allait venir. J’aurais sérieusement pu me réjouir de ne plus être fille unique. Maintenant, je n’étais que remplacée. Pire, ma mère éprouvait enfin des sentiments maternels pour quelqu’un. Moi, j’étais rien. Minable. Même ma mère voulait plus de moi. Je ne racontais rien à Louise de cette entrevue, après tout je n’avais pas à me faire plaindre, ce n’est pas comme si j’étais la seule fille à plaindre dans la ville.
« Naïs ! tu m’expliques c’est qui ce mec qui te suit ? » Je me retournais pour observer le type en question : Derp. Qu’il vienne me faire avec ses questions quand je sortais du lycée, ça passait encore, mais j’aimais pas qu’il s’approche de moi quand Louise était dans les parages pour la simple et unique raison que mon couple battait de l’aile et que je n’avais pas besoin d’un stalker à mes trousses. Je détournais mon regard, montrant ainsi que c’était pas le moment pour être dérangée, e voulais être encore capable de passer des moments avec ma copine
. « T’es sûre qu’il me suit ? Il doit juste avoir le même chemin que nous, laisse-le. » Faire comme si de rien était me paraissait être la meilleure solution. Louise et moi, nous étions ensemble depuis deux ans maintenant. C’était énorme pour nous d’avoir réussi à faire autant durer notre idylle, même si forcément la routine s’était installée. Vous y croyez qu’on puisse aimer quelqu’un et pourtant ne plus se sentir aussi bien en sa présence ? Et bien avec Louise, c’était ça. Depuis plusieurs mois déjà, tout était tendu. J’étais plus aussi bien avec elle et l’infidélité m’a gagné. Oui, j’ai trompé ma copine. Je ne lui ai pas avouer, mais elle s’en doutait. Ce Derp n’a fait que confirmer ses soupçons.
« Putain mais tu vas arrêter de me suivre ? Je veux pas te voir, encore moins quand je suis avec ma copine. Tu comprends ? T’approche pas de nous. » J’avais réussi à le coincer contre un mur dans une ruelle. Fallait qu’on s’explique, qu’on mette les points sur les « i »
« Mais je veux juste te parler et … » Il prenait un genre d’air innocent. C’était énervant.
« NAN ! Je te connais pas. Tu m’as jamais connu et je veux pas que ça change alors fous le camp ! » Je lui criais dessus sans m’en rendre compte. Dans un autre contexte, j’aurais pu le trouver gentil et même finir par l’apprécier. Mais j’en avais marre de le voir partout, d’apprendre qu’il avait posé plein de questions sur moi à mes amis et surtout que Louise me demande sans arrêt qui il était parce que j’avais beau prétendre ne pas le connaître, elle voyait qu’il était toujours là. Il la rendu méfiante à son sujet, rien que par sa présence et c’est comme ça que Louise a su. C’est comme ça qu’elle a appris que j’étais allée voir ailleurs. Lorsque je rentrais à la maison après ça, je trouvais mes valises dans l’entrée, mes affaires dans des cartons.
« Louise ? Qu’est-ce que ? » « Tu prends tes affaires et tu t’en vas. C’est fini Naïs’ » J’avais une boule dans la gorge. J’ai compris sur le moment, sans qu’elle n’ait rien à dire. Elle savait. C’était fini, elle ne me pardonnerait pas.
« Je suis désolée. Je ne voulais pas. » « C’est ce type hein Naïs ? Avec qui t’étais ? Je veux que tu partes de chez moi. Je veux pas t’entendre. Tu prendras tes affaires chez la concierge. VA T-EN ! » Elle parlait vite, criait, me balançait presque mes affaires au visage. Je pleurais sans explications, on y mettait fin. J’aurais voulu m’agenouiller devant elle. J’aurais pleuré. J’aurais supplié. C’était plus comme autrefois, mais j’aurais tout fait pour une seconde chance.
« Me fais pas les yeux doux. Je veux vraiment que tu dégages. » Elle avait fini par m’enterrer. Une valise dans chaque main, je quittais l’appartement.