Une triste nuit de décembre, un garçon chétif naquit au sein d’une riche famille. C’était à Paris, la ville des artistes, que la famille Moore s’était établie. Parce que c’était à tous deux leur rêve d’enfant, la plus belle ville du monde, la ville où tout était possible. Le petit Agustin qui venait de naître n’était que le quatrième enfant de la fratrie, un enfant pas plus important que les autres, un enfant qui serait façonné selon le même modèle que ses aînés.

Il serait un enfant sage et pieux, puis un adulte prétentieux à la vie aisée, qui exercerait comme tous le métier d’avocat ou de médecin, et épouserait juste pour le renom une femme qu’il n’aimerait jamais. Cet enfant devait, comme tous les autres, feindre la perfection pour faire la fierté de ses parents. Or il n’en fut pas ainsi.

Les dix premières années de sa vie, Agustin se tenait correctement à la messe et aux dîner mondains, obtenait d’excellents résultats scolaires, et obtempérait sans objection aux exigences de ses parents. Mais au fil des années, son caractère s’accentuait, provoquant l’inquiétude de sa famille. Il semblait vouloir différer totalement du moule dans lequel on l’avait fait, quelles qu’en fussent les conséquences. On décela chez lui cette particularité suite à la découverte de son goût très marqué pour la musique.

Tout comme ses aînés, il avait des leçons de piano étant petit ; c’était comme une tradition dans ce genre de famille. Seulement, son chemin divergea rapidement lorsque son intérêt pour le domaine, après avoir mué en passion, tourna en obsession. Tous les soirs après l’école, il allait s’enfermer des heures dans sa chambre pour apprendre seul de nouveaux morceaux de pianos, accords de guitare et mélodies chantées. Il en vint à écrire, composer, jusqu’à se créer un style propre et original. Plus ses parents réalisaient son talent, plus ils s’en effrayaient. Car cette passion avait empiété sur son assiduité scolaire et lui valait de moins en moins bonnes notes.

Ses parents le regardèrent faire, impuissants, trop faibles pour tenter de se débarrasser d’un élément si important dans la vie de leur fils. Ils se rendirent bientôt compte de leur tort de ne pas avoir fait d’efforts. En plus de sa chute scolaire, la musique lui forgeait une personnalité, des opinions, allant jusqu’à prendre le contrepied de toutes les valeurs qu’on lui avait inculquées.

Il enchaîna toutes les bêtises qu’il pouvait se permettre. Il séchait les cours, rentrait tard le soir, parfois dans un état second, assistait à des manifestations et ne venait mêmes plus aux réunions familiales. Devant cette déviance déshonorante, ses parents ne firent pourtant rien pour arranger les choses. Ils avaient décidé de baisser les bras, considérant qu’un enfant de raté sur six – car oui, désormais, ils étaient six – ne représentait pas grand-chose. Alors Agustin passa son adolescence dans une intense liberté dont personne n’eût su dire si elle lui fut bénéfique ou non.

À l’âge de quatorze ans, Agustin fut confronté à une épreuve assez difficile. Il regardait les garçons, et ça, ce n’était pas normal. Tant qu’il se droguait ou qu’il faisait l’école buissonnière, il ne pouvait pas se reprocher d’être différent de ses amis. Mais là, pour la première fois, il se découvrit cette spécialité maudite. Il dépensa beaucoup de temps et d’énergie à accepter cette différence. Il entra dans une longue période de déprime. Il nourrissait une haine envers lui-même, et tenta même de tuer sa personne.

Personne ne s’en préoccupait, ni même ne le remarquait, jusqu’à ce qu’il rencontre Charles. Ce garçon était dans son lycée, en classe supérieure à la sienne. Il était beau, musclé, avec un sourire irrésistible, et, comme Agustin, il aimait sécher les cours et consommer du cannabis. Agustin se rapprocha de lui, jusqu’à ne plus résister. Alors qu’ils fumaient ensemble, il l’embrassa et, étonnamment, Charles ne le repoussa pas. À partir de là, il ne fut plus seul dans sa confrontation à la réalité. Charles et Agustin entretinrent une relation de deux ans, alternant amitié, sexe, passion et amour. Lorsque cette dernière phase s’avéra trop dangereusement présente, ils décidèrent d’arrêter.

Je m’appelle Agustin Moore. Et grâce à deux personnes, un piano de concert et un beau lycée dénommé Charles, j’ai compris qui j’étais. Je n’étais rien d’autre qu’un musicien virtuose bisexuel et libertin. Je découvris que ce n’était pas si peu commun. Je passai mon bac de justesse, puis me demandai ce que j’allais faire de ma vie. Alors que j’étais en plein questionnement, Charles, que je n’avais pas revu depuis son départ du lycée, me contacta pour me dire qu’il était vivre dans une ville où il était permis de rester soi-même sans aucun gêne.

Cette ville s’appelle Zagreb. J’ai aussitôt postulé dans une école de musique là-bas, j’y ai été accepté. Et je suis parti rejoindre les deux amours de ma vie. Reste à découvrir les surprises que me réserve cette nouvelle vie.