C'est dans une maison pleine de couleur que moi, Rose Évangéline Delcourt, je viens au monde. Déjà toute petite j'étais plus riche qu'un enfant de star, alors que mes parents me promenaient de maison en maison dans ma poussette dernière génération, pour bien faire valoir leur puissance. Ce petit bébé blond que j'étais ne savait pas encore parler ou marcher, mais il savait déjà comment fonctionnait la hiérarchie humaine. Celui qui a de l'argent vit sur le dos de celui qui n'en a pas. Héritière d'une somme colossale de petits billets verts appartenant à Kevin Delcourt et sa femme : Melanie Durel, de son nom de jeune fille, j'étais loin de manquer de quoi que ce soit. Contrairement à ce que pensaient beaucoup de gens du quartier, mes parents avaient beau avoir l'esprit étroit et avare, ils m'aimaient sincèrement et follement. Certes je recevais énormément de cadeaux mais au dessus de ça leur affection était sans limites. Quand je suis entrée dans la plus prestigieuse école primaire de Paris, les choses ont brutalement changées. J'ai vite pris conscience qu'un certain nombre d'enfants me détestaient parce que j'étais riche, la plupart avaient vus leurs parents travailler nuit et jour pour leur offrir leurs places dans cet établissement. Réaliser la chance que j'avais me bouleversa, parce que je n'aimais pas faire du mal aux autres, parce que ma famille avait cru bon pour moi de m'enfermer dans un cloître d'illusions et de mensonges. La vie était loin d'être aussi magique et parfaite qu'on me l'avait dit. Ce fut très dur de me battre contre cette partie de moi que mes parents avaient crée, comme une bête avide d'argent, dépensière et mesquine. Il me fallut la refouler, gérer mes crises de petite princesse gâtée, apprendre à me débrouiller. Seulement voilà... Toute seule, la tâche était trop ardue. Heureusement, je reçus de l'aide.

Je rencontrais Sam au collège, en quatrième. Nous étions fous et insouciants, persuadés que la vie nous ouvrait ses bras et que le pire était déjà derrière. Petits adolescents certains d'être déjà des adultes, nous dictions nos règles et faisions les quatre-cent coups, sans nous attarder sur le futur. Le dicton qui cella notre amitié fut découvert en cours de latin : « Carpe diem » ou plus simplement « Profites de chaque instant ». Comme le bahut était un pensionnat, il était difficile de nous séparer. Au clair de lune à minuit, à la cafeteria à midi, en cours, en pause, en sortie scolaire... Les heures que nous passâmes à discuter et à partager nos vies devinrent des semaines, puis des mois, et les mois se changèrent en années. Notre relation était devenue indestructible, fusionnelle. Cela finit forcément par attirer l'attention de nos familles qui prirent la décision la plus cruelle et la plus dévastatrice de ma vie. Sam fut envoyé en pension en Angleterre, et je fut de nouveau seule au monde. Au lycée, la vie paressait déjà moins lumineuse, je déjeunais à part, exilée des autres qui m'observaient comme un chien perdu au détour d'une ruelle, qui faisait pitié mais que personne ne voulait aider. Combien même l'auraient ils voulu, ils n'auraient pas pu. J'étais persuadée d'être inhumaine, de ne pas être normale, je refusais d'approcher les gens de peur de leur attirer ma malédiction... Et comme dans tous les cas de ce genre, je fit une grosse bêtise pour me donner une possibilité d'intégration. Le cercle vicieux de la cigarette s'empara de moi. Après cela je devint populaire, mais à quel prix ?

« T'es assise à ma place, la pouffe.
- T'as qu'à t'assoir par terre, là où est ta vraie place, cabot.
- Est-ce-que tu sais à qui tu t'adresses, Rosie ?
- Je m'adresse à mon fiancé, il me semble. »

Maxime Richier, dix-neuf ans, capitaine de l'équipe de foot du lycée, motard violant les lois, agressif, dangereux, terriblement sexy... En bref, tout ce que j'aurais du fuir comme la peste si j'avais été un peu plus fine. Ce type sentait l'alcool et le tabac à longueur de temps, ne présentait aucun signe d'affection ou de sensibilité poétique, c'était un dur à cuir et ne sortais avec moi que pour l'étiquette. Après tout, j'étais la plus populaire du bahut. Après deux ans de relation le seul compliment qu'il avait trouvé à me dire était qu'il me trouvait amusante. Normal, puisque j'étais la seule fille de Paris qui osait lui tenir tête et le fixer dans les yeux sans s'en détourner une seconde. Il ne me faisait pas peur, et là résidait le vrai fond du problème. Je ne réalisais pas encore à quel point j'aurais du être terrifiée. La brebis que j'étais rodait autour du gros méchant loup et le poussait à bout sans comprendre ce qui le faisait tant saliver. Je l'avoue, c'était bien naïf de ma part de croire que nous étions faits pour vivre ensemble. On dit que la vie est pleine d'erreurs et que c'est en les faisant qu'on apprend à ne plus les faire. Et bien que dieu m'en soit témoin, celle là, c'était une belle grosse erreur. Jour après jour la bague qu'il m'avait mise au doigt s'alourdissait, empirait mon état, comme si elle était porteuse d'une menace imminente...

Plusieurs années plus tard me voilà, âgée de 25 ans, enfermée à clé dans un appartement de trois étages, absolument gigantesque et décoré tout en blanc avec des objets modernes qui rendent l'ambiance froide et terne. Je suis seule toute la journée pendant que mon époux fait du deal dans les rues dépravées de Paris. Assise près de la fenêtre au dix-septième étage, j'observe la vie d'en bas, tous ces gens qui ont le droit de sortir et de mener leur vie comme ils le veulent. La domestique prend soin de moi comme si j'étais une petite fille de cinq ans, me force à manger, à m'habiller, à écrire, à lire, à dessiner... Mais au fond je ne suis qu'une enveloppe charnelle vide. Complètement vide. Sur le rebord de la cheminée en verre, notre photo de mariage me guette, me rappelant à chaque instant quelle énorme bêtise j'ai faite avec ma vie. A droite, je suis en robe blanche taillée par un artiste italien très réputé, je souris. A gauche, Maxime grimace et détourne le regard. Il n'a jamais aimé les photos. En fait je me demande même s'il a déjà aimé quelque chose d'autre que lui-même... Pensive et isolée, je caresse d'une main distraite mon ventre bien rond. Je suis enceinte de huit mois. C'est un petit garçon, je vais l'appeler Sam.

« Mais tu ne comprends pas, c'est une catastrophe !!
- Ton frère n'a jamais été bien discret, il fallait bien qu'il se fasse prendre un jour.
- Je t'interdis de dire du mal de lui, tu m'entends ?!
- Ne parle pas si fort, les voisins vont entendre. »

Et bam, et vlan, et clac. Sa main vient et revient sur mon visage sans que je ne fasse un bruit, ni un geste, ni rien pour l'en empêcher. A quoi bon ? Je suis habituée à sa violence à présent. Les hématomes de la dernière fois ne sont pas encore partis. Une fois qu'il se sera calmé en me frappant, tout ira mieux dans le meilleur des mondes. Et puis je pense à notre bébé, ce petit bonhomme qui va bientôt naitre. Si je me débattais, je le mettrait en danger. Soudain, une image frappe mon esprit. Maxime tient dans ses mains un petit enfant tout fragile, au visage merveilleusement beau. Mais il n'est pas tendre avec lui, il le serre trop fort, le petit étouffe. C'est trop pour moi, je ne peux pas rester ici et livrer mon bébé à son père. Il en mourrai. Alors je me redresse, lui place un grand coup de pied dans les burnes, un coup de genou dans les dents quand il se plie de douleur. Il tombe au sol et je file aussi vite que je peux vers son bureau pour prendre les clefs de la porte d'entrée. Je dois fuir, vite, très vite. Je ne pense plus à ma sécurité, je veux protéger Sam, le sauver. J'attrape le trousseau de clefs dans le tiroir central et le referme vivement. Le bruit qu'il fait en claquant est assourdissant, trop bruyant pour que ce soit normal. Je baisse lentement les yeux alors que le temps semble s'être arrêté. Mes mains, posées sur mon ventre, sont rouges. Rouges sang. Je tombe au sol alors que Maxime prend la fuite, son flingue glissé à sa ceinture. Dans mon agonie, je n'entend que de façon lointaine la voix de la domestique. Elle est au téléphone.

« Envoyez une ambulance, vite ! »

Tout devient froid, tout devient noir... Sam...

Plusieurs années plus tard, je suis à Zagreb. J'ai fuis mon pays, mes amis, ma famille. J'ai laissé tout mon argent derrière moi pour redémarrer ma vie. Dans mon petit studio de femme célibataire, la décoration est colorée et chaleureuse, il n'y a pas un centimètre dans l'appartement qui n'est pas utilisé par une photo, une bougie, une décoration. Ce n'est pas un hasard. J'ai tout fait pour couper avec mes souvenirs, pour oublier. Sur le rebord de ma table de chevet en bois, il n'y a ni cadre photo, ni réveil, ni lampe. Seulement une petite boite en nacre où repose sur un coussin de velours noir, une gourmette de la taille d'un poignet de bébé, où reste et restera gravé à jamais : Sam Nicolas Delcourt. Je sors de l'appartement, nous sommes en hiver, je porte une écharpe en laine grise et un long manteau noir avec un col de fausse fourrure ( seule chose ramenée de Paris ). Je marche dans les rues, détendue, respirant la douce odeur des sapins, et écoutant avec joie les chants de noël qui s'échappent des magasins. Je ne fais plus partie du monde d'en haut. Je suis en bas, je suis une fourmis qui se mêle au peuple. Dans le parc, au pied d'un arbre, un jeune garçon peu vêtu est assit. D'abord je n'y prête pas attention, puis je remarque qu'il tremble. Bien sûr, assit ainsi dans la neige avec un jean et un t-sjirt manche courte, il doit être gelé. Prise d'un élan de générosité, je m'approche de lui, retire mon gros manteau et le pose sur ses épaules, avec douceur. Il lève les yeux, surpris. Je lui offre un sourire tendre.

« Tu ne devrais pas rester ainsi dans le froid. J'allais justement faire du chocolat chaud, t'en veux ? »

Ce jeune garçon qui s'appelait Gabriel s'installa chez moi pour se réchauffer, me raconta son histoire, et ne me quitta plus. Mon instinct maternel que j'avais enfuoi au fond de moi refaiait surface et je ressentais le besoin de le lui offrir. Grâce à la boutique que je venais d'ouvrir et qui avait beaucoup de succès, je pu lui offrir un appartement pour lui et son ami. Et ensuite quand il eu besoin de se faire de l'argent par lui même, je l'avait engagé dans mon magasin de musique. Si de nos jours vous croisez un jeune homme brun en compagnie d'une grande femme blonde qui semblent ne rien avoir en commun, rappelez vous de cette histoire et dites vous que juger les gens d'un simple regard, vous mène souvent plus loin que là où la vérité se trouve réellement.