La soirée s’étirait, comme dans un rêve, un tourbillon sans fin qui m’entraînait, toujours plus loin. Je ne me souvenais plus exactement pourquoi j’avais décidé de venir en boîte. Peut-être était-ce l’homme qui m’avait payé l’entrée qui m’y avait conduit. Peu importe, ce genre de détail n’avait plus la moindre importance à présent. J’étais sur la piste de danse, virevoltant entre les silhouettes indistinctes des autres danseurs. L’adrénaline me donnait des ailes et j’avais l’impression de planer parmi la foule. Parfois, des mains m’attiraient, m’incitant à suivre un autre corps sur un rythme lancinant. J’étais transporté et je me sentais incroyablement bien. Incroyablement libre. Rien ne pouvait m’arrêter. Du moins, c’était ce que je croyais, jusqu’à ce qu’un abruti ne renverse son verre sur moi. « Pardon… Je n’ai pas fait exprès, excuse-moi... » Ben heureusement qu’il n’avait pas fait exprès ! Malgré mes efforts pour rester calme, je sentais une étrange frustration monter en moi alors que, bêtement, je frottais mes vêtements qui, imbibés par l’alcool, me collaient à la peau. « merde ! » C’était sûrement stupide de s’énerver pour ça, mais je n’étais pas moi-même, j’étais dans un état second. Et puis, je ne possédais pas beaucoup de vêtements alors je faisais de mon mieux pour ne pas les abîmer trop vite. Les gens prenaient un malin plaisir à me traiter comme un pestiféré à cause de mon apparence. Alors je me démenais chaque jour pour ne pas leur donner raison. A vrai dire, je prenais même un malin plaisir à lui donner tort.

Sans accorder un regard au maladroit, je me dirigeai directement vers les toilettes afin de réparer les dégâts. Du moins, j’allais essayer. Mais une fois installé devant le miroir, éclairé par la lumière blafarde de la pièce, je me retrouvai à fixé mon regard vitreux sans comprendre comment j’avais bien pu en arriver là. Où est-ce que cette vie pouvait bien me mener ? Je n’étais même pas certain de vouloir continuer dans cette voie, mais la rue était devenue ma maison, même si je n’en gardais pas de souvenir en dehors des derniers mois que je vais d’y passer. Mais c’était viscéral, une partie de moi avait peur de retrouver ma vie d’avant. Celle que je menais en Alaska. Distraitement, je tentai de faire disparaître les taches d’alcool qui maculaient mon haut et mon jean, les frottant vigoureusement avec un torchon humide. Le résultat était loin d’être parfait, mais pour le moment, je ne pouvais pas faire mieux. Trempé, je sortis des toilettes pour aller m’affaler sur une banquette devant l’une des tables de la boîte de nuit. Dans un état comateux, je tentai de reprendre mon souffle, d’oublier les merdes qui m’avaient pollué l’esprit face à la lucidité du miroir. Et lentement, je retrouvai le calme serein de l’insouciance. Je ne voulais pas sombrer, pas ce soir. Il y aurait tellement d’autres soirs où j’aurais le sentiment d’étouffer, alors autant se satisfaire de l’instant présent, tant que l’alcool m’aider à paralyser mon esprit.

D’ailleurs, je songeai à vider mes poches afin de trouver de quoi me payer un autre verre, quand un jeune homme plutôt séduisant m’apporta un verre. Surpris, je le dévisageai un instant et, gêné, il me désigna le mec qui lui avait demandé de m’apporter cette boisson. Je ne l’avais jamais vu auparavant, ou du moins je n’en gardais aucun souvenir. Mais quoi qu’il en soit, j’appréciai le geste et je lui fis un signe de la tête afin de le remercier avant de tremper mes lèvres dans le liquide. Une vodka pomme… Comment avait-il su que j’aimais la vodka, que ce soit pure, à la pomme ou à l’orange. Certes, j’étais loin d’être le seul, mais il y avait tellement d’autres boissons. Comment avait-il deviné celle que je préférais ? Encore hanté par toutes ces questions, je le vis s’approcher lentement de moi. Immobile, je le suivis du regard tandis qu’il se penchait pour glisser quelques mots au jeune homme qui m’avait apporté le verre en son nom, avant de lui faire comprendre qu’il devait nous laisser seul. Etait-il en train de me draguer ? Afin de chasser cette interrogation de mon esprit, je portai immédiatement le verre de vodka à mes lèvres avant de dévisager l’inconnu, plissant légèrement les yeux. D’ordinaire, j’y voyais parfaitement bien, mais l’alcool troublait dangereusement ma vision. « Merci pour le verre. » Joignant le geste à la parole, je levai mon verre dans sa direction. Je n’étais pas vraiment sûr de ce que je devais faire, mais la boisson m’aidait à ne pas trop y penser. Je me contentais d’agir et c’était vraiment reposant. C’était sûrement pour ça que je buvais autant, pour faire tomber les barrières, me libérer de mes chaînes… « Mais comment tu as su que c’était ma boisson préférée ? On s’est déjà croisé dans le coin ? » C’était étrange tout de même, je ne parvenais pas à savoir si je l’avais déjà vu. Est-ce que je l’avais rencontré avant mon accident ? Lors de mon premier passage à Zagreb peut-être ? Comment savoir… ? Je n’avais même pas conscience de pouvoir le blesser en lui posant cette question pourtant si innocente à mes yeux. Au fond, ce n’était pas à moi que mon amnésie avait causé le plus de souffrance. Même si je ne savais pas vraiment si je m’étais fait beaucoup d’amis durant mes voyages, certains d’entre eux pourraient sûrement être affectés par mes réactions. Personne n’aime être oublié. Tout comme je n’aimais pas me sentir si démuni, si seul à l’idée de repousser les personnes qui avaient compté pour moi et qui m’avaient peut-être tendu la main dans les pires moments. Dans le doute, je ne fis rien pour éconduire le jeune homme qui me faisait face. Après tout, il s’était montré généreux, je lui devais bien ça. « Assieds-toi si tu veux. » Un sourire quelque peu alcoolisé se figea sur mes lèvres, alors que je tapotais l’espace libre qui se trouvait à mes côtés sur la banquette.
HJ - Désolée pour le retard