“Félicitations, c'est un garçon ! Comment allez-vous l'appeler ?”
Siniša Marijan naquit le jour qui n'existe qu'une fois tous les quatre ans, d'une union qui n'avait pas prévu avoir de descendance, et qui à son arrivée a failli le laisser en adoption. Ce fut le père, Maître Isaija Vranyešević, qui convaincquit son épouse, la belle Ljiljana, que cet enfant allait changer leur vie -et il n'avait pas totalement tord.
Dès tout jeune, le petit garçon se montra bien précoce, et semblait avoir soif de connaissance. Debout à dix mois et quelques jours, il marchait sans plus aucun problème trois mois plus tard -Vilim, leur chien, magnifique berger croate noir, l'avait beaucoup aidé- et peignait déjà ses premiers petits chefs-d'oeuvre d'enfant, que son père conserva toujours bien précieusement. Puis arrivèrent ses débuts scolaires: véritable angoisse pour ses parents, mais par pour leur fils, qui était tout excité d'y aller depuis longtemps avant. Ces premières années qu'il y passa furent bien calmes, rien à signaler; il semblait plus avancé que ses petits camarades, mais rien de trop énorme. Il savait déjà lire comme il faut alors qu'eux apprenaient toujours, il se mettait déjà à l'écriture... Plutôt doué pour un enfant de son niveau.
Lorsqu'il fut prêt pour le début du gros de sa scolarité, l'année de ses neuf ans, sa mère réalisa en même temps l'un de ses rêves. Elle venait d'ouvrir son propre petit salon de massage. Seul bémol à cette réussite: elle risquait de ne plus pouvoir emmener son fils à l'école, qui si rien n'était fait, ne pourrait du coup simplement plus y aller. Ainsi, pour l'occasion, et aussi pour le protéger lorsqu'ils ne pourraient pas l'accompagner eux-mêmes, Isaiya et Ljiljana annoncèrent au petit brun que Vilim allait devenir son "garde du corps personnel". Comment le rendre plus heureux ? Siny, pressé d'être plus vieux, allait enfin pouvoir se promener seul dehors, avec son chien à ses côtés, comme ces grandes personnes dans Les 101 Dalmatiens, Anita et Roger ! Oh bien sûr, il fut toujours content de tenir la main de l'un ou l'autre de ses parents pour aller à l'école, mais rien ne pouvait battre le fait de pouvoir y aller seul comme un grand.
L'on peut dire que le jeune Vranyešević eut une enfance relativement bonne. Petit préféré des professeurs les plus détestés, s'en sortant toujours avec les meilleures notes de ses classes, qui peut en plus se promener tout seul sans ses parents... Mais il va sans dire qu'on ne peut être premier de classe dans presque toutes les matières, joli garçon et avoir déjà une certaine indépendance à huit ans, sans faire de jaloux. Il n'avait d'ailleurs pas autant d'amis que n'importe qui en aurait eu à son âge; le compte s'élevait à un petit deux. Tea et Janko. La première, jolie petite blonde, était comme lui très douée en classe. Elle fut aussi dès le premier jour, le deuxième garde du corps attitré du petit garçon; et il en avait bien besoin. En effet, il n'était pas des plus appréciés de son école, et c'est bien souvent que les autres garçons venaient l'embêter ou se moquer de lui. Quant au second, brun aux yeux verts, il n'était pas non plus très populaire au sein de l'établissement. Il n'était pas ce qu'il y avait de plus joli à regarder, il faut dire, avec son bras atrophié. Cependant, Siniša n'y porta pas attention: Janko était gentil et rigolo, et il arrivait toujours à le faire sourire après qu'il ait eut des ennuis avec un autre élève.
Le drame arriva l'année de ses dix ans, le lundi premier mars. La plus forte des petites brutes en devenir qui le détestaient sans véritable raison lui avait préparé un cadeau tout spécial pour son anniversaire, avec l'aide de trois de se petits larbins. Toute la journée se passa bien; étrangement, personne ne vint l'embêter et lui et ses deux amis purent pour une fois manger en paix, le midi. Mais bientôt, alors qu'un petit attroupement masculin semblait se créer peu à peu dans la cours de récréation, le cri strident d'une petite fille effrayée alerta les adultes, qui sortirent en courant pour aller au secours de l'enfant, suivis de Siniša, Tea et Janko, dont la curiosité avait été plus forte qu'eux. Il n'y eu pas de bagarre, ni plus de cris. Les enseignants firent de leur possible pour faire retourner les enfants à l'intérieur rapidement, même si certains arrivaient à leur échapper pour mieux voir la scène avant de se faire rattraper par un pion. Le directeur fut appelé et mis au courant, et il décida d'appeler les parents de tous les petits pour qu'ils viennent les chercher au plus vite. Ils auraient quelques jours de congé, le temps pour eux d'oublier, et pour l'école de nettoyer.
Ce qui avait fait crier la petite fille n'était ni plus ni moins que le corps meurtri d'un chien qui glapissait encore de douleur alors qu'il se vidait de son sang lentement, par terre, sa laisse entortillée à la clôture du petit terrain de jeu. Siniša eu tout loisir de le regarder pendant que les autres élèves étaient forcés à rentrer, avant que finalement l'un des surveillants ne le remarque et l'entraîne à l'intérieur pour attendre quelqu'un de sa famille. Les conséquences de cette journée inclurent le renvoi immédiat de quatre élèves de douze à treize ans, le retrait de cette école par leurs parents d'une poignée d'enfants, et quelques psychologues pour enfants enrichis de quelques kunas sur une longue durée.
Ce jour-là, ce furent ses deux parents qui vinrent chercher Siniša à l'école, pour le ramener à la maison.
Ce jour-là, Vilim ne joua pas avec lui dans le jardin.
Ce jour-là fut celui qui gâcha sa vie.
Un cri dans la nuit.
Dans le noir de la chambre du petit Vranyešević, des pleurs arrivent facilement à percer le rideau noir de la nuit pour atteindre les oreilles de son papa et de sa maman. Il semblait murmurer quelques mots dans son sommeil, toujours les mêmes, mais d'une façon totalement incompréhensible. Ce n'était pas la première fois que Marijan faisait des cauchemars; ses parents étaient habitués maintenant de se faire réveiller sur les coups d'une ou deux heure du matin par les pleurs de leur fils. Celui-ci ne s'était visiblement pas remis de la perte de son ami canin. Toute la première année qui suivit, l'enfant se réveillait du même rêve: il disait revoir Vilim dans ses rêves, attaché au grillage de la clôture, aboyant joyeusement en se roulant dans la neige, avant d'un coup se détacher et partir en courrant, en le laissant tout seul alors que la nuit tombait... Mais cette fois, c'était bien différent.
Couvert de sueur, froid comme un glaçon, et pourtant pas du tout malade, l'enfant aux yeux bleus se tournait et se retournait dans son lit. Il avait l'air de se battre contre quelque chose, ou de fuir un ennemi. Cela dura quelques longues minutes durant lesquelles presque aucun son ne sorti de sa bouche. Puis d'un coup, le petit garçon se releva dans son lit, assis, et lâcha un grand cri horrifié. Il ne fallu pas bien longtemps pour que son père ouvre la porte de la chambre de son fils, dictionnaire à la main -il n'avait pas pris le temps de descendre chercher un couteau à la cuisine. Pendant que maman allumait vite la lumière et que papa vérifiait rapidement dans tous les coins de la pièce, Siniša continuait de crier, affolé. Sa mère s'empressa d'aller près de lui pour le rassurer, le prenant dans ses bras, mais son fils ne la laissa pas bien plus l'approcher. Se débattant de bras et de pieds, toutes griffes sorties, il la repoussa en la fixant avec un regard fou, comme si il ne la reconnaissait pas. Ou plutôt, comme si il la prenait pour son agresseur.
Puis d'un coup, plus rien. Siny avait arrêté de crier et avait laissé ses bras retomber sur ses côtés, avant de se recoucher sur le dos, comme si de rien n'était. Ses parents se regardèrent longuement, l'air de ne rien comprendre, et avec raison. Mais comme il n'y avait pas trace de quelconque entrée dans sa chambre, par effraction ou non, et qu'il s'était rendormi paisiblement, ils retournèrent se coucher aussi, la tête pleine de questions, comme par exemple; pourquoi avait-il crié ? Pourquoi n'avait-il pas arrêté en voyant ses parents entrer dans sa chambre ? Ou encore, où avait-il réussit à trouver la force de pousser sa mère presque par terre ?..
Le lendemain matin, Marijan était tout souriant et bien reposé -ce qui n'était pas le cas d'Isaija, qui n'avait pas réussit à fermer l'oeil du reste de la nuit. Lorsqu'il lui demanda d'ailleurs s'il pouvait lui raconter ce qui s'était passé quelques heures auparavant, son fils le regarda incrédule sans pouvoir lui répondre. Il ne se rappelait de rien, même pas de son rêve. L'homme avait beau essayer de lui en faire parler en usant de toutes ses techniques avocatesques, rien n'y fit: Siny ne pu rien lui raconter. Amnésie totale. L'avocat et sa femme échangèrent un long regard inquiet alors que leur petit sortait de table après avoir finit ses céréales et son lait. Mais finalement, rien de plus ne se passa. Ce petit épisode de frayeur passé, ils n'y firent plus allusion. Ce n'était pas si grave, après tout, si ?
Après cette nuit-là, Siniša ne fit plus de “crise” étrange dans son sommeil. Il avait toujours ses cauchemars, bien évidemment, et ils semblaient être bien plus effrayants qu'avant, mais rien de bien important. Le calme dura une bonne année... Puis ça recommença. Les crises commencèrent par n'être qu'en petite quantité, une tous les deux ou trois mois. Mais plus le temps avançait, et plus elles étaient nombreuses, plus elles étaient violentes, et plus la victime de ces nuits était fatigué. C'est quand il eut quatorze ans que ses parents décidèrent de l'emmener voir un pédiatre. Celui-ci, après une petite heure à prendre en note ce que Isaiya et Ljiljana lui racontaient, pu leur rendre son verdict.
Leur fils souffrait de terreurs nocturnes, chose contre laquelle rien ne pouvait être fait. Il fallait attendre que ça s'arrête tout seul, en essayant de diminuer au maximum les situations stressantes; et il ne fallait surtout pas essayer de le réveiller dans ces moments-là, car ça pourrait lui en causer une seconde dans la même nuit. Tout ce qu'il pouvait prescrire à l'enfant était des petites granules qui l'aideraient à passer des nuits reposantes. Ç'aurait pu être une bonne idée, mais le père refusa. Même s'il y avait là possibilité pour que ses terreurs cessent un peu, jamais il ne laisserait son fils, son trésor, la prunelle de ses yeux, prendre des médicaments conçus à partir d'une plante toxique. Trois cent kunas. Kaching~!
La petite famille dû donc s'habituer à ces nuits agitées qui leur étaient du coup inévitables. Le plus dur était cependant réservé à Siniša car, si il ne se réveillait pas au milieu de la nuit comme ses parents pour ensuite se rendormir, ce petit problème nocturne qu'il avait l'empêchait de bien se reposer. Tous les matins en se réveillant, il était aussi fatigué que s'il n'avait dormi que trois heures. Mais même si l'adolescent n'arrivait pas à être en forme, il ne s'en inquiétait pas plus que ça. Il avait toujours de très bonnes notes à l'école; Tea et Janko étaient toujours là pour l'aider et le soutenir dans les moments les plus durs; et il avait apprit à répondre à ceux qui venaient se moquer de lui, de sorte à leur clouer le bec. Tout allait bien pour lui. Non, ce qu'il n'aimait pas, c'est de savoir que par sa faute, ses parents eux ne pouvaient pas non plus passer de bonnes nuits. Il se passa toute une année avant qu'il puisse mettre son plan à exécution.
Il avait seize ans quand il dit qu'il ne voulait plus aller à l'école de jour, mais plutôt suivre des cours du soir et faire le reste plus gros de ses travaux à la maison. Il avait des arguments convaincants, et ses parents ne trouvèrent rien à y répliquer, comme il s'y attendait. Il fut donc inscrit à la fin de l'année scolaire, et eu toutes les vacances d'été pour prendre un autre rythme de vie. Il passait maintenant ses nuits sur son ordinateur à jouer, dessiner et tester divers logiciels; pour aller se coucher seulement lorsque ses parents partaient travailler. Bien vite il prit l'habitude de ce nouveau train de vie, à son plus grand plaisir -et ce, même si dormir le jour n'empêchait en rien ses cauchemars de l'attaquer. En fait, pendant quelques temps, ils avaient même semblé redoubler de force, sûrement à cause du changement soudain dans ses horraires. Siny avait même réussit à se réveiller une fois à l'autre bout de sa chambre, la main ouverte par le miroir qu'il avait dû casser lors d'ébats particulièrement violents avec ce qui l'avait agressé dans son cauchemar cette fois-là. Et encore, il considérait ça une grande chance: il ne voulait même pas imaginer ce qui se serait passé si l'un de ses parents avait été là pour intervenir...
Pouvoir faire ses travaux de cette façon, presque à son propre rythme, permis au jeune homme de finir ces études-ci plus rapidement, pour entâmer celles qu'il voulait absolument faire plus tôt. Il dû changer un petit peu ses heures à nouveau, mais rien d'énorme: il allait juste arrêter le babysitting -oui, car il avait eu du temps libre et n'avait pas voulu le gaspiller- pour avoir ses après-midi de libres aussi. Il se libérait du même coup un peu ses soirées durant lesquelles, maintenant majeurs tous les trois, Siny, Tea et Janko se retrouvaient chez la demoiselle pour ensuite sortir s'amuser de diverses façons, que ce fut dans des bars, des dance clubs, ou même des endroits classés pour adultes seulement. Ils en profitaient très souvent, d'ailleurs: n'ayant pas choisit les mêmes branches dans leurs études professionnelles, ils ne pouvaient pas beaucoup se voir le reste du temps.
Même s'ils voulaient s'assurer un futur, ce n'était pas leurs études qui risquaient de les séparer. Ils avaient la toute jeune vingtaine, ils étaient dans la fleur de l'âge, et ils étaient devenus de beaux jeunes gens fiers de qui ils sont. Ils comptaient bien en profiter au maximum, et s'amuser de toutes les façons possibles. Même en “changeant de sexe” une fois de temps en temps, pourquoi pas ? Voir le regard troublé de la demoiselle qui venait flirter le beau blond aux yeux chocolat, la cravate défaite sur le haut déboutonné de sa chemise, quand elle entendait la voix féminine de Tea franchir ses lèvres était toujours une bonne source de rigolade. Et il était hilarant de regarder les hommes repartir honteux après avoir tenté de draguer la jolie blonde aux longues jambes, dont les cuisses n'étaient qu'à moitié couvertes par une petite jupe...
Seul Janko ne participait pas activement à leur délire: il ne se sentait pas à l'aise, habillé en fille. Et il n'était probablement pas aussi... gai, que ses deux amis, qui ne se gênaient pas pour regarder les gens du même sexe qu'eux. Mais il ne les aurait laissés pour rien au monde. Qu'en avait-il à faire, après tout, de leurs préférences au lit ? Et puis d'un autre côté, Tea et Marijan l'avaient accepté à bras ouverts, lui, tout difforme qu'il était. Jamais il ne les trahirait comme ça, après quinze ans. Et encore moins pour une chose aussi stupide que leur sexualité.
Il les aimait pour qui ils étaient; pas pour ce qu'ils étaient.
“Majka, otak... ja sam gay.”
C'est fou comment trois petits mots peuvent si facilement et surtout si rapidement détruire l'harmonie d'une famille traditionnelle. Leur propre enfant, le dernier Vranyešević de cette lignée... Les deux ainés en étaient encore sous le choc. Plus un mot ne fut entendu dans la petite maison de Vrgorac de toute la journée, ni de celle qui suivit. Siny, bien que soulagé d'avoir enfin lâché ce qui pesait tant sur son coeur depuis quelques années, regrettait tout de même de leur avoir avoué. S'il s'était tut, ils auraient passé ces heures de silence à parler et rigoler ensemble, comme ils le faisaient toujours le week-end. Ils auraient peut-être même joué au Cluedo, comme il leur arrivait de faire de temps à autres. S'il n'avait rien dit, peut-être que sa mère aurait reposé les yeux sur lui, aussi. Bref, si il l'avait gardée fermée, tout serait resté bien normal au sein de sa famille.
Ça dura jusqu'au lundi soir suivant, où Isaiya brisa le silence qui s'était fait trop lourd. Etonnament, ce ne fut pas pour simplement parler de la purée délicieusement onctueuse que son épouse avait préparée, ni des résultats sportifs du dernier match de foot. Il s'était tourné vers son fils pour lui sourire, et lui avait demandé s'il s'était trouvé un garçon bien, pour leur annoncer ça ainsi. Alors que le fils, surpris, regardait le père sans savoir s'il devait ou non répondre, la mère elle se leva quelques secondes plus tard pour débarasser son assiette à peine touchée et partir s'enfermer dans sa chambre. Finalement, Siniša n'eut pas le temps de répondre, car son paternel s'excusa et rejoint sa femme en vitesse pour lui demander ce qui lui prenait. Le jeune homme finit donc son repas seul, débarassa le reste de la table, mis les restes de côtés et fit la vaisselle, avant de mettre ses chaussures et sa veste et de franchir le seuil de la porte pour prendre l'air.
Laissant ses pieds le conduire sans faire attention à où ils l'emmenaient, il traversa tout son quartier en passant par le grand parc, avant de se retrouver devant les marches de l'appartement où habitait Tea. Il regarda l'entrée pendant une bonne minute avant de se décider à entrer et monter frapper à la porte de son amie. Lorsque celle-ci, toujours en pyjama, lui ouvrit, il n'y eut pas besoin de mots: la tête que tirait le jeune homme voulait tout dire. Elle le fit entrer dans son petit deux et demi et alla chercher quelques vêtements pendant que lui allait fouiller dans son frigo pour se prendre du coca, qu'il ramena avec lui sur le canapé pour boire à la bouteille directement. Lorsque Tea revint, en sous-vêtements, son ami lui raconta son week-end en la regardant à peine alors qu'elle s'habillait devant lui. Un petit quart d'heure et un long câlin plus tard, ils sortaient de l'appartement de la demoiselle pour aller boire un petit coup dans un bar.
Petit coup, qui finit par en être plusieurs gros. À la fin de leur soirée, vers deux heure du matin, Tea décida que son beau Marijan avait assez bu: il rigolait comme un ivrogne avant de fondre en larmes après quelques secondes, pour ensuite commander un autre verre. Le dernier qu'il demanda, son amie le pris avant qu'il ne le touche pour le donner à un vrai saoûlon à côté, et attrapa Siny par le bras pour le tirer hors de l'endroit. Il puait l'alcool, tenait à peine debout et avait les yeux rougis de larmes. Le voyant comme ça, elle préféra le ramener chez elle plutôt que de le laisser à la vue de ses parents dans cet état. Bras dessus, bras dessous, les deux acolytes retournèrent donc chez la donzelle, le pas chancelant, pour y passer la nuit.
Malgré la dose assez grande d'alcool ingéré par le jeune homme, celui-ci ne dormit pas. Il somnolait, passait à deux doigts de sombrer, mais ne voulait pas s'endormir. Sa méthode ? Les baffes. Mais au bout d'un moment, alors que son hôte dormait à poings fermés, il préféra en changer pour ne pas risquer de la réveiller -et pour éviter de se retrouver avec les joues tomate. Il sortit dans le couloir pour y marcher un peu, mais rentra finalement pour aller se faire couler un bain moussant, dans lequel il resta longtemps, jusqu'à ce que l'eau en devienne presque froide et que toutes les bulles aient disparu. Quand il sorti de la baignoire, il était presque cinq heure et demi, et le soleil commençait tranquillement à se lever. Un peu moins endormi, il retourna se coucher à côté de Tea dans son lit, en pantalon, pour attendre son réveil. Après tout, la demoiselle avait cours aujourd'hui.
Lorsqu'elle fut partie pour ses cours après avoir bien câliné Siny en lui disant qu'il pouvait faire tout comme chez lui en son absence et de fermer à clé lorsqu'il s'en irait, ce dernier retourna se coucher pour dormir quelques heures. Lorsqu'il s'en réveilla, il se sentait étrangement bien reposé. Il alluma la télé qu'il écouta distraitement, affairé à se faire cuire un steak -car après tout, il était bien maintenant deux heure et demi de l'après-midi. Il failli le faire crâmer d'ailleurs, ses oreilles attirées au bout d'un moment par un court reportage sur le train de vie de la capitale depuis certains évènements concernant une journaliste. Son attention captée par la boîte à images qui montrait de jeunes hommes embrasser d'autres jeunes hommes, et de jeunes femmes embrasser d'autres jeunes femmes, il en oublia son steak qu'il dû par la suite gratter un peu pour ne pas avoir à en manger le noir. Mais même si la viande avait du coup un petit arrière goût de brûlé, un petit sourire s'était dessiné sur les lèvres du garçon.
Ce soir-là, après être tout de même allé en cours, il retourna chez lui. Il se retrouva en tête à tête avec son père, qui s'était inquiété pour lui. Ce dernier lui raconta un peu la soirée qu'il avait passée avec sa femme: Ljiljana lui avait expliqué qu'elle ne pouvait pas accepter que son fils n'aime pas les femmes, qu'elle n'aurait ainsi pas de petits-enfants à gâter comme elle l'avait souhaité après l'avoir mis au monde. Bien que blessé de cette nouvelle, le jeune homme garda tout de même un fin sourire en attrapant les mains de son père. Omettant volontairement de lui parler de la nuit de beuverie qu'il avait passée, il lui rapporta plutôt certains propos qu'il avait entendus à la télévision en début d'après-midi, ainsi que la décision qu'il avait prise.
Il ne pourrait pas vivre chez ses parents si l'un d'eux faisait comme si il n'existait pas. Il ne le supporterait pas. Il préférait de loin s'en aller plutôt que de rester là comme un fantôme, ignoré par sa mère; et il avait déjà trouvé l'endroit qu'il élirait comme nouveau domicile. Zagreb. Il n'y avait pas de famille et devrait donc se trouver un appartement où loger, mais il avait appris que les gens comme lui y semblaient plus acceptés qu'ailleurs dans le pays. Devant l'air dépité de son géniteur, il ne pu retenir un petit rire avant d'ajouter qu'il n'allait pas faire ses bagages tout de suite. Il voulait d'abord finir son année d'études en cours et amasser quelques sous pour que sa transition soit plus aisée. Après s'être assuré que son fils était sûr de ce qu'il voulait faire, Isaija acquiesça. Il comprenait bien qu'il veuille partir après les récents évènements; puis d'un côté, il faut bien que papa oiseau laisse son oisillon s'envoler de ses propres ailes un jour ou l'autre. Et qui sait ? Peut-être son épouse allait-elle finir par tolérer la différence de son enfant...
Les mois passèrent, et l'attitude de la mère ne semblait pas vouloir changer, au grand désarrois du père. Marijan ne dérogea donc pas du petit plan qu'il avait mis au point, et lorsqu'il eut à son goût économisé assez d'argent, il se mis en quête d'appartements à louer. Il lui fallu quelques jours à se promener de site en site avant de trouver une bonne offre. Ce n'était pas excessivement cher, c'était assez spacieux, et ça se trouvait en centre-ville, soit près de divers endroits privilégiant la vie nocturne. C'était parfait. Il n'avait qu'un coup de téléphone ou deux à faire et il aurait son petit chez-lui payé au mois. Quand il en parla à son paternel, celui-ci sembla à la fois content pour lui et triste d'avoir la certitude maintenant que son enfant allait s'en aller; mais il lui versa le lendemain une petite somme qui pourrait sûrement l'aider à partir du bon pied dans sa nouvelle vie.
C'est seulement deux semaines plus tard que Siny entreprit de faire ses bagages. Tout était arrangé pour son départ: il irait en bus jusqu'à Split puis de là prendrait le train jusqu'à Zagreb, et traînerait finalement sa carcasse épuisée du voyage jusqu'à son futur appartement pour y rencontrer le propriétaire et signer les papiers. Le matin de son départ, une valise à roulette tirée d'une main et une à ganse portée sur une épaule, son père le serra une dernière fois dans ses bras avant de le laisser faire comme bon lui semblant. Le jeune homme posa un baiser sur le front de celui qui fut toujours là pour lui, et lui sourit un rien tristement.
« Prend soin de maman. »
C'est sur ces mots que le blond tourna les talons pour se rendre jusqu'à l'arrêt de bus plus loin, se retournant parfois pour faire signe de la main à son père qui restait à la porte malgré la température fraiche. C'est seulement lorsque son fils fut monté dans l'autobus qu'il ferma la porte. Il n'arrivait toujours pas à comprendre l'attitude de son épouse malgré tous ces mois. Ne fallait-il pas des différences pour que la vie vaille le coup d'être vécue et explorée ? N'était-ce pas ce qui créait un monde ? Puis ce serait si triste si les résidents de cette planète étaient tous pareils... Un chose était sûre pour lui: il essairait de la convaincre que leur fils n'est pas un monstre, une abomination. La suite dépendrait de ses progrès. Si Ljiljana changeait d'avis et acquiesçait à ses paroles, il appellerait Siniša pour lui dire de rentrer, que tout s'était arrangé et qu'il manquait à sa mère. Mais si elle restait coincée sur cette opinion, Isaija ne ferait que l'appeler pour prendre de ses nouvelles de temps en temps.
Voilà un mois que le jeune homme a refait sa vie dans la capitale, et il vient de fêter ses vingt-quatre ans. Oh, allez, un dernier coup de balais dans le salon et on sort fêter ça...