Mes petites boucles de chérubin dépassaient de mon bonnet de laine à mesure que les larmes striaient mon visage. Je n’avais pas plus de 3 ans et je bravais pour la énième fois le froid glacial de Saint Petersburg pour rejoindre les appartements de ma professeure de piano. Je savais à peine marcher et parler que je devais déjà apprendre à poser mes mains en position arrondie avec le bout des doigts sur les touches d’ivoire du clavier. Je ne voulais pas y aller, j’avais froid, j’étais fatigué. Ma grand-mère me poussa alors et je tombais sur le bitume glacé en m’écorchant les mains. Je poussais un petit cri de surprise et de douleur, et les pleurs reprirent de plus belle. Elle me déposa et promis de revenir bientôt. J’ôtais alors au fur et à mesure les couches de vêtements qui protégeaient mon corps de la fraîcheur de la ville. Je somnolais pendant mon cours, bercé par la lumière tamisée et la chaleur de l’appartement. La nuit était déjà tombée lorsque je quittais la compagnie de ma maîtresse. Je pris le chemin de la maison, heureux d’enfin pouvoir m’allonger et dormir. Mais le sommeil ne vint pas, il ne vient jamais quand il le faut. Assis, les jambes repliées sous moi dans le noir, je laissais les larmes me submerger comme tous les soirs. Perché dans un coin, en tailleur, je regardais la maison s’activer, une peluche placée au creux de mon bras. Je voulais voir ma maman, mais grand-mère dis que je ne peux pas. Il y a maintenant 3 longues années que je vis seul avec la vieille dame qui est assigné à s’occuper de moi. Je ne connais pas ma maman ; ni mon papa d’ailleurs. Ce sont les femmes qui habitent ici qui m’ont allaité quand j’étais petit, qui ont pris soin de moi alors que j’étais délaissé. Mais qu’importe, personne ne fait jamais attention à moi.
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Aujourd’hui, je viens officiellement de rater mon enfance. Ce matin, je suis seul au monde. Ce matin, tout le monde et personne à la fois ne fait attention à moi. De toute façon, qui ferait attention au petit garçon qui vient de perdre la seule famille qu’il avait. J’ai errai dans les quartiers encore illuminés et animés de la ville. La petite pièce qui me servait de maison était bondé de personnes inconnues parlant de leurs grosses voix rudes. Les jours qui suivirent ne firent qu’empirer la situation. Tous les proches qui vivaient aux champs vinrent prendre d’assaut le studio. Les pleurs se mêlaient aux rires, les cris se mêlaient aux murmures ; comment pouvais je être apparenté à de tels rustres ? J’étais peut être pauvre mais je ne voulais pas qu’on me croit paysan. Je ne voulais pas voir ces gens, je voulais qu’ils me laissent tranquille. Je passais donc la plupart des longues journées mornes à raser les murs et à éviter ma famille. Puis vint le problème de ma garde. Il s’imposa de lui-même un jour. Je dormais encore quand j’entendis des voix dans les landes profondes de mon sommeil. Je gardais les yeux fermés, écoutant tout. Quelqu’un proposait de me mettre dans un orphelinat, un autre voulait m’adopter, on parla des voisins ; puis vint alors une petite voix. Toute mince, elle n’avait pas encore pris la parole jusqu’à présent. Tout le monde s’était retourné, pourtant les murmures auraient pu passer inaperçus si les paroles ne les avaient pas tous transpercés. On allait m’envoyer chez ma mère. Je luttais pour ne pas ouvrir les yeux, me rappelant les regards de mépris que me jetait ma grand-mère quand je parlais de ce sujet là. Je me tournais alors vers le mur pour ne pas laisser entrevoir mes émotions. Je sentis alors tous les regards se poser sur moi. Puis la discution repris de plus belle. Et c’est à ce moment que j’appris toute mon histoire cachée …
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« - Tu veux vraiment le renvoyer chez elle ? Elle ne doit même pas se rappeler de lui. Et puis, qui voudrait lui parler après ce qu’elle a fait.
- Tu parles quand même de ta propre famille.
-Ce n’est plus ma famille. Qui la voudrait dans sa famille après ce qu’elle a fait ?
-Ce qu’elle a fait, ce qu’elle a fait. Tu parles d’elle comme si c’était une sorcière. Tout le monde a déjà fait ce qu’elle a fait …
- Tu veux dire que toutes les saintes femmes de ma famille sont tombées enceinte pendant leur étude sans même être mariées ? Qu’aurait elle fait si sa mère n’avait pas sauvé la mise ? Tout le monde savait qu’elle était enceinte de toute façon. Crois tu vraiment que tout le monde se marie à l’âge de 18 ans en hâte ? Et puis vu sa taille, je ne crois pas que se serait passé inaperçu …
-Arrêtes de parler comme ça …
-D’accord, mais à vos risques et péril d’envoyer le jeune garçon chez une gouvernante mariée avec un chauffeur et qui a fui son pays pour échapper à la honte.
-JE T’AI DIS ARRÊTES ! » Le silence revint et c’est avec peine que je retins mes sanglots…
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« De toute façon il n’y en a toujours que pour lui que veux tu ! » Je criais au visage de ma mère toute la douleur que portait mon cœur. Du haut de mes 10 ans, je commençais à peine à comprendre toute l’ampleur de ma vie. Je ne pouvais plus vivre ainsi. C’était pourtant ma mère, qu’elle le veuille ou non n’était pas la question, et il était hors de question que je me fasse prendre tout ce qu’il me restait sur terre, surtout par ce ; cette … Un soupir de rage sortit d’entre mes lèvres. Elle porta alors sa main aussi haut qu’elle le put et la cogna contre mon visage découvert. Pris de surprise, je ne pus qu’ouvrir la bouche. C’est à ce moment que la porte s’ouvrit pour laisser voir le petit visage enfantin de son deuxième fils. Ou plutôt le premier car je ne comptais visiblement plus pour elle. Il essaya de s’interposer entre elle et moi, l’éloignant et me laissant seul. De quel droit avait il décidé de m’humilier ? La rage bouillonnait en moi à mesure que les éclats de fureur voilaient mes yeux ambre d’une teinte mauvaies. Je m’enfermai dans ma chambre et maudissais le jeune homme. Je le maudissais de tout, d’être riche, d’avoir pris ma mère, d’avoir tout ce qu’il voulait … Pourquoi lui et pas moi ? J’étais beaucoup plus méritant que lui. Ce n’est pas parce que lui apprenait à aligner trois notes sur un piano qu’il était meilleur que moi, bien au contraire. Ce n’est pas parce qu’il était riche qu’il était meilleur que moi, parce qu’il était beau… Je cachais alors cette dernière pensée au fin fond de mon crâne comme pour me faire croire que je ne l’avais pas dit. Quoiqu’il en soit, j’essayais de me calmer. Je respirai plus lentement, laissant la haine me dévorer les viscères. Je posai alors ma tête contre l’oreiller et m’endormi. Je ne me réveillai pas avant la nuit …
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Encore une fois, c’est le claquement de la porte et la bourrasque de vent qui me réveillèrent. Encore une fois, ma mère m’avait laissé seul et était parti s’occuper de son petit chéri. Encore une fois, une rage irraisonnée pris d’assaut mon esprit. Je me levais et, rodant dans la maison, je me retrouvai instinctivement devant mon piano. C’est la seule chose à laquelle je m’étais raccrochée depuis mon départ de Russie, la seule chose qui ne me laisserait pas tomber, la seule chose qui me faisait vivre … Je posai mes paumes sur les touches bicolores et commençai à les laisser valser. Petit à petit, la musique douce et calme qui sortit de mon piano se transforma en tempête d’émotion et de sons entrelacés. Le rythme s’accéléra et les écarts de notes s’agrandirent. Mes pieds écrasaient les pédales et mes mains s’accrochaient au piano, le transperçant presque avec toute leur force. Je laissai la musique m’emporter, oubliant tout ce qui se trouvait autour de moi. L’accord final vint enfin, et c’est sur ses dernières notes que je mis le summum de ma force en action. Je restai là quelques minutes, à respirer convulsivement pour retrouver mon souffle. Toutes les peines de mon cœur se trouvaient à présent saignant avec mes doigts entaillés. La pédale avait céder sous le poids de mon pied, les touches brillaient de la teinte écarlate de mon sang. Je posai alors ma tête sur le clavier et attendit, contemplant le jardin. Je pris alors mon manteau et sortis dans la neige de ce mois de Décembre. A mesure que j’avançais dans l’une de mes fameuses promenades solitaires dans le parc de mes
« sauveurs », je sortis de ma poche un paquet de cigarettes. J’allumai le cylindre de tabac, le posai sur ma lèvre inférieure et en tirai des bouffées grisâtre que je relâchai dans l’air glacé. Je pris place sur un tapis de mousse, juste en dessous d’un pin. Je laissais alors mon esprit vagabonder en regardant les grosses gouttes de pluie se mêler aux flocons de neige et s’écraser sur mon visage. Je les laissai me laver tout entier, n’essuyant pas les traits qui sillonnaient à travers mes cils, l’arrête de mon nez, mes lèvres rosées. Je ne quittai mon poste que tard dans l’après midi, laissant les mégots baliser l’endroit où je perdis une de mes précieuses journées d’adolescent à problème. Avec mes 16 printemps, je voyais déjà ma vie remplie comme un vieillard …
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Je ne me sentis plus maître de mon corps. Ma main gauche, fermée en poing, s’abattit sur le visage pâle de Sanyel.
« Est-ce que tu crois que je ne me rappelles pas de l’année dernière ? Toi et ton petit copain. » Je fis alors une moue de dégout et l’empoignai par le col de son T-shirt. Je plongeais alors mes yeux dans les siens et je pris ses cheveux entre mes doigts. Je plongeais alors vers sa bouche et épousai la forme de ses lèvres avec les miennes. Une décharge électrique me frappa de plein fouet. Je me raccrochais de plus belle à l’homme apparemment décontenancé qui me faisait face. Ce n’était pas un désir, c’était un besoin. Je ne pouvais m’arrêter, comme si ma vie en dépendait. J’essayai de lui faire passer un message. Je le haïssais bien plus que tout. Mais entre l’amour et la haine, il n’y a qu’un pas. Je fermais alors mes dents sur sa lèvre sous cette pensée. Je le repoussais aussi fort que je pus et couru jusqu’à la maison. Un sursaut d’horreur m’accabla quand je me rappelais que ma maison était la sienne, construite avec l’argent de ses parents. Je me mis alors à courir le plus loin possible de tout ce qui m’accablait aux alentours. Le sang coulant encore de ma bouche, je me rinçais avec la source d’eau la plus proche. Je ne revins pas à la maison ce soir là. Ma mère ne le remarqua même pas. C’est fou qu’à 19 ans, j’y pense encore. Ma mère n’était pas là quand j’étais jeune, mais maintenant je n’ai plus besoin d’elle. Je travaille là où je peux pour gagner un peu d’argent et j’essaye de suivre mes études pianistiques. A vrai dire, je n’ai pas vraiment eu de chance dans mes études jusqu’à présent. Ma dyslexie m’a causé beaucoup trop de problèmes en tant qu’élève. Ce n’est qu’après avoir passé mon bac pour la deuxième fois cette année que j’ai réussi à l’avoir. Pourtant, j’essayais tant que je le pouvais de me plonger dans le peu de livre que je pouvais m’offrir. Peut être que le malheur de ces êtres de papier et d’encre m’était plus agréable que le mien, peut être était il le mien. A voir ces histoires d’amour pathétiques, on croirait que j’aime Sanyel. La dernière chose qui me passerait par l’esprit serait de ressentir de l’amour pour lui. Je le haïssais d’une haine inavouable, sa pensée me dévorait. J’aurai voulu le tuer, le poignarder, lui trancher la gorge, l’embrasser. Je me cognais la tête contre un mur. Je n’avais pas le droit de dire cela. Je vaquais alors aux occupations qui m’encombrèrent l’esprit assez longtemps pour me faire oublier tout cela …
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Je ne pouvais plus subvenir à mes besoins ; ou plutôt c’est ce que je me mis en tête. Je répondis alors favorablement à la demande de mon père de reprendre ces occupations de chauffeur de Sanyel. A vrai dire, je ne savais pas ce qui m’avait poussé à vouloir le suivre partout comme un petit chien. Quoiqu’il en soit, mon père était des plus heureux, c’est ce qui comptait. Je me résignai à ma tâche, bizarrement heureux. Je ne me laissais pourtant pas marcher sur les pieds ; il était hors de question qu’il se mette à avoir des petites manières de bourgeois supérieur. Je le lui fis d’ailleurs comprendre très rapidement :
« Ecoute Sanyel. Je ne suis là que pour faire joli et gagner un peu d’argent donc tu vas me faire le plaisir d’arrêter tout de suite le ‘je suis le garçon qui a de l’argent donc tu te soumets à moi’. De toute façon, tu as l’air de bien comprendre le concept d’apparence avec tes parents à ce que je vois … » Je le laissais avaler mes accusations à mesure que je démarrai la voiture. Je conduisais la Mercedes tous les matins, un café Starbucks au volant pour pouvoir me réveiller. Quand je ne rouspétais pas aux caprices de Sanyel, j’étudiais. Un bien grand mot pour un chauffeur qui voudrait apprendre aux enfants à poser les mains sur un instrument de musique. Ainsi soit-il ; entre temps j’essayais de ne pas penser à Sanyel et de ne pas le regarder dans le rétroviseur. Trop de choses pour ma mince petite vie de coureurs de jupons. Trop de choses pour mes émotions, ma tête ; trop de choses tout court. Je n’en pouvais plus, il était temps de tout clarifier les yeux dans les yeux avec mon cadet…
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