Je me dépêche. Je suis en retard comme toujours. J'ai pris cette mauvaise habitude de me faire désirer ce qui agace profondément mon meilleur ami qui m'attend depuis... plus d'une heure ? Tant pis, il faut que je sois présentable tout de même. Ceylan doit toujours être le plus parfait possible. Oui je parle de moi à la troisième personne, et alors ? Un dernier coup de brosse dans mes longs cheveux et me voilà fin prêt pour la soirée la plus merveilleuse de la terre. Mon meilleur ami, de son prénom Eli, et moi sortons enfin de ma chambre après un ultime regard dans le miroir. Il me supporte depuis de longues années maintenant et cette chance n'est pas donné à tout le monde... Enfin, à l'entendre ça serait plutôt un calvaire. Il n'a pas tort. J'ai bien conscience d'avoir un caractère difficile. Je suis chiant. Et encore le mot est faible. Eli dit souvent qu'il faudrait inventer un qualificatif juste pour moi. Je préfère me dire que cette particularité fait mon charme... Peut-être devrais-je songer à changer ? Non. Je suis comme ça depuis toujours... Et je n'ai absolument pas envie de changer. Les gens qui ne me supportent pas ne me côtoient pas, c'est tout. Je ne vais forcer personne à subir mon caractère.
Je pense que tout ça est surtout dû à l'éducation que m'ont donné mes parents... Laxiste. Beaucoup trop laxiste. J'ai le droit de faire ce que je veux depuis tout petit. J'ai toujours tout eu. Les derniers jouets à la mode, les vêtements et autres accessoires... Ma mère me gâte et moi... bien j'adore ça. Je ne vais tout de même pas lui dire de garder ses cadeaux. Ça serait du gâchis ! Je suis un gosse de riches et j'assume totalement. Je suis pourri gâté ? J'assume aussi. Je profite de tout ce que m'offrent mes parents. Je suis leur seul enfant, fils unique et chéri. L'enfant roi. Et il faut dire que j'adore ma couronne. Je ne la prêterai pour rien au monde. Peut-être que mes parents ont fortement contribué à l'apparition de mon caractère de merde mais je ne leur rejetterai jamais la faute. Et puis, quelle faute ? Si je suis insupportable tant pis. Moi j'aime ça. Et je crois que les gens aussi aiment ça... Ou a alors ils aiment mon argent... Ce qui semble plutôt logique en fait... Pourquoi me supporter sinon ?
Certes je suis gâté... Je suis fier de ce que je suis mais ça n'a pas toujours été le cas. Ma vie n'a pas été des plus roses à une période... L'année de mes quinze ans..._ _ _ _ _Janvier 2008« Ivanac est gay ! Ivanac est gay ! » Voilà ce que j'entends depuis plus d'une heure. Ça a fait le tour du lycée. J'ai juste envie de pleurer. Ils rigolent, me fixent et me pointent du doigt. Je n'ai qu'un souhait, rentrer chez moi et me mettre en boule dans mon lit. Je pensais qu'en classe ils se calmeraient seulement c'est pareil. Je les entends murmurer, ils me guettent, certains se retournent même sur moi.
« T'façon vu ses fringues ça m'étonne même pas ! » Qu'est ce qu'ils ont mes vêtements ?
« Ouais on dirait une fille... » Honteusement, je me cache derrière mes cheveux longs. Oui je ressemble à une fille mais j'aime ça... J'aime ce côté androgyne mais il semble que mes camarades n'apprécient pas. Ils n'avaient jamais vraiment critiqué aussi ouvertement... Oui je sentais les regards sur moi, les interrogations au premier abord mais rien de vraiment méchant. Là ils ne se retiennent même plus. Ils ricanent et j'ai l'impression que leurs voix vont me percer les tympans. C'est tellement désagréable... Je ne suis rien du cours et je veux juste partir. Heureusement, la sonnerie retentit et je peux filer. Je n'attends même pas Eli qui me court après. Je m'en fiche. J'ai besoin d'être seul.
Chez moi, je pleure. Je n'ai pas honte de moi, loin de là. J'ai honte d'eux. Honte des gens qui me regardent avec dédain parce qu'ils m'ont vu embrasser un garçon. Le pire dans tout ça c'était que je voulais uniquement essayer et Eli a accepté... On n'aurait pas dû faire ça au lycée mais j'étais juste trop naïf, je pensais que nous étions cachés... Foutaises. Les murs du lycée ont des yeux et des oreilles.. Je ne pensais pas qu'ils se moqueraient. J'étais plutôt apprécié, Eli aussi mais là, nos anciens amis nous regardent de travers. Alors quoi ? Juste parce que j'aime les garçons et que je leur montre, ils ne veulent plus de moi ? Pourtant je n'ai pas changé. Je suis toujours le même mec qui ressemble à une fille. Je suis toujours celui qu'ils semblaient apprécier. C'était sûrement une belle façade. Je ne changerai pas pour eux. Demain, je retournerai au lycée la tête haute. Il le faut. Je dois m'affirmer. Ils n'ont pas le droit de me juger pour mes préférences sexuelles. Tant que je ne les embête pas avec ça, si je ne tente pas de les forcer... qu'ont-ils à craindre de moi ? Rien. Moi... J'ai tout à craindre d'eux.
Mars 2008Leur méchanceté gratuite ne devrait pas m'atteindre mais j'ai du mal... Plus personne ne me parle. Seul Eli reste avec moi... Il subit les mêmes attaques que moi de la part des gens mais il a une chance en plus, il n'a pas ce look qui dérange. Moi, je continue de m'habiller « comme une fille » malgré leurs remarques. Je continue de marcher fièrement mais moralement, je vais mal. Je n'arrive plus à sourire, je me sens si seul. Même si les personnes qui me critiquent n'étaient pas de vrais amis, ils me tenaient compagnie, on rigolait plutôt bien. Là, je reste tout le temps isolé à subir leur sarcasmes. En deux mois, rien n'a changé. Ils sont toujours aussi virulents et ils me voient comme une bête de foire. Je ne supporte pas ça mais pour rien au monde je renierai ce que je suis. Je suis homosexuel et si ça ne leur plait pas, tant pis. Je préfère rester seul qu'avec des hypocrites. J'ai mal d'être rejeté mais je sais qu'un jour les gens finiront par oublier ou même m'accepter. Et puis je rencontrerai sûrement des personnes plus tolérantes. J'ai hâte... Vraiment.
Avril 2008J'en ai marre. Je suis devant ma glace, fond de teint en main mais ça ne cache rien. Rien du tout. Putain. J'ai un gros coquard et ma lèvre est fendue. J'ai mal et je sens que je vais pleurer.
« Calme toi Ceylan ! » Eli me conseille ça depuis tout à l'heure mais c'est impossible. Comment je pourrais me calmer alors que je viens de me faire taper par des terminales de mon lycée ? Pourquoi ? J'aurais dragué le petit frère d'un d'entre eux. Le pire... Je ne m'en souviens même pas, je ne sais pas de qui ils parlent mais je crois surtout qu'ils exagèrent. J'ai dû parler au garçon en question pendant peut-être cinq minutes... Si je n'ai même plus le droit de discuter avec quelqu'un, l'heure est grave.
« Putain mais j'vais pas m'calmer Eli ! Ils m'ont frappé ! Pour rien en plus ! » Mon ami n'arrête pas de me dire que je devrais me plaindre au proviseur. N'importe quoi. Si en plus je vais pleurer dans les jupes des adultes, ils vont me faire ma fête. Je vais encore faire comme si tout allait bien. Je vais sourire et ne rien dire aux remarques. Je n'ai, de toute façon, pas le choix. Putain j'ai quinze ans et je trouve déjà ma vie merdique. Et si dans quelques années tout était pareil ? Que rien n'évoluait ? Je n'ose même pas y penser.
Et bien finalement, les choses ont bougé. Heureusement. Je n’aurais pas supporté bien longtemps de me faire insulter et frapper. Cette année 2008 est juste à oublier. J’ai su garder la tête haute et ils ont fini par se lasser. Certains sont même revenus et se sont excusé. Les autres, je m’en contrefiche. Tout mon lycée s’est finalement bien passé si j’omets mon année de seconde. Je préfère me dire que c’est une étape de ma vie, j’ai réussi à me construire et m’affirmer. Tout le monde sait que je suis gay et ils s’en fichent. J’en suis fier et c’est tout ce qui compte. J’ai juste dit à ceux qui ne me supportaient pas d’aller se faire foutre. Ils peuvent ricaner dans leur coin, me traiter de tafiole ou de nana, je m’en balance. C’est ma vie, c’est moi tout simplement et s’ils ne sont pas contents avec ça qu’ils aillent voir ailleurs. Je fais tout de même attention aux gens qui m’entourent. Je suis méfiant sans vraiment le montrer. On ne m’approche pas facilement et si les gens pensent faire partie de mon groupe d’amis, ils devraient sûrement se méfier. J’ai peu de vrais amis, Eli bien sûr puis quelques autres mais je les compte sur les doigts d’une main. Les autres sont là parce que c’est cool d’avoir un pote gay.. ou alors c’est mon argent. Les deux… Qu’importe. Je ne leur demande rien.
Justement la fiesta où je vais ce soir est organisée par une proche amie. Je la connais depuis cette sombre période. Elle est elle-même lesbienne et comprend ce que j’ai pu ressentir. Elle est passée par là aussi même si les filles ne se font pas forcément frapper. Des lesbiennes, ça passe mieux. Certains mecs plutôt machos disent même que ça les excite.. S’ils savaient comme deux mecs aussi ça peut être excitant.. Chacun son point de vue après tout. Je ne force à rien. Je veux juste que les gens tolèrent les autres. Ce soir, aucun problème. La maison sera remplie de gens sympas, la plupart gay ou bisexuels. Aucun tabou. Bref. J’adore ce genre d’endroits, d’ambiance. Je ne me prive pas d’exprimer ma personnalité dans les autres moments. A la FAC, les gens voient bien que je suis gay et androgyne. Je ne vais pas le cacher non plus. Je ne me prive de rien. J’emmerde les gens. Je vis comme je veux. J’ai appris à ne pas me laisser faire mais il est vrai que je n’ai pas trop de problème avec les homophobes. Peut-être se cachent-ils ? Bien sûr les gens me regardent mais ça n’est pas toujours pour se moquer. Ils m’observent et parlent sûrement de ma tenue. Ils pensent aussi la plupart du temps que je suis une fille. Je me suis souvent fait draguer par de beaux hétérosexuels… Ils sont bien sûr assez surpris mais je ne joue pas avec eux. Dès que j’entends un « bonsoir ma jolie » je mets les points sur les « i ». Je ne veux pas d’embrouille. Je sais qu’un mec bourré pourrait s’énerver d’avoir été bleuffé de la sorte. Je ne fais chier personne et personne ne me fait chier. Bien sûr, si quelqu’un revient à la charge et me critique, je ne me tairais pas comme quand j’avais quinze ans. J’en ai trois de plus et je ne veux plus qu’on me marche sur les pieds. Après.. Peut-être que si une bagarre éclate… Je fuirai. Je n’ai pas vraiment les muscles pour me défendre. Mon mettre quatre-vingt-cinq et mes cinquante-cinq kilogrammes ne sont pas d’une grande aide pour ce genre de combat. Je suis plus fort en dispute et insultes qu’en coups de poings. Eli s’en chargera.. Il ne manquerait plus que ma manucure soit abimée…
